La Vie clandestine
À la moitié du roman, on est persuadé de tenir un joyau entre les mains. Ensuite, tout s'écroule comme si, de moins en moins clandestines, telle cette vie qui donne son titre à son récit, les intentions de Monica Sabolo se fracassaient sur un propos de plus en plus artificiel et pour tout dire franchement puéril. La bonne volonté du lecteur épouse pourtant avec force, au départ, l'étrange parallèle que tisse la romancière entre son passé bourgeois en Suisse à l'ombre d'un père se plaçant au-dessus des lois et les années Action Directe, ce groupe terroriste dont le plus sinistre coup d'éclat fut l'assassinat en 1986 de l'ancien patron de Renault, Georges Besse.
"Je ne savais pas encore que les années Action Directe étaient faites de ce qui me constitue: le secret, le silence et l'écho de la violence ". Soit. Revendiquant une candeur absolue ("tout ce qui relève du groupe m'angoisse ") au regard de l'histoire des mouvements d'extrême-gauche, la plume de Monica Sabolo trouve pourtant la bonne distance quand elle évoque la jeunesse de Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron tant les deux femmes du groupe paraissent beaucoup plus l'intéresser que leurs deux "camarades" hommes. De fait, Jean-Marc Rouillan semble inspirer à l'autrice une répulsion que rien au cours du récit ne viendra vraiment atténuer.
En tout état de cause, la densité humaine fait rarement défaut dans les portraits que propose Sabolo. Elle n'oublie pas non plus les proches de Georges Besse, et les pages consacrées à son assassinat comme à celui de Gabriel Chahine, l'indic' oublié, sont particulièrement touchantes. Également au crédit de la romancière, le climat étrange et la fantaisie inquiète qui enrobent la première partie de son récit: une buse empaillée avec une queue tordue, un appartement inondé, un voisin acariâtre se plaignant du bruit infernal la nuit alors que Monica Sabolo n'est pas du genre à veiller tard... Il y a là comme un parfum de mystère auquel font écho les singuliers jeux de miroirs de son enfance, notamment à Milan où elle est née (avant de grandir à Genève) et où un autre célèbre groupe terroriste a également sévi...
Peu à peu, pourtant, les traumas personnels de la narratrice épuisent leur potentiel romanesque, et on se surprend à préférer les pages qu'elle consacre à Action Directe. Du moins jusqu'à l'apparition d'Hellyette Bess, une vieille sympathisante du groupe vaguement repentie (elle s'est toujours opposée aux meurtres) reconvertie en libraire anarchiste du côté de Ménilmontant. Quel personnage en or, cette "Mama", en tout cas pour la romancière qui peut enfin se libérer de l'exercice imposé de la distance et craquer pour cette brave Hellyette dont l'enfance a été minée par la Shoah. D'autres personnages du même ordre surgissent de l'ombre, faisant perdre au récit toute l'ambiguïté qui en nourrissait le charme. Ça ne fait plus dès lors que larmoyer, Action Directe passant de sujet à prétexte dans une hémorragie de bonne conscience bisounours.
La Vie clandestine, Monica Sabolo (Gallimard)