Les ténèbres et la nuit
"On prévoyait de la vraie pluie, et cela aurait calmé l'averse de plomb annuelle "... Rarement on aura autant apprécié le sens de l'accroche de Michael Connelly, surtout lorsqu'il met en lumière une tradition aussi incongrue que spécifique à Los Angeles: à la Saint-Sylvestre, certains fêtards ne trouvent rien de mieux à faire que de vider leurs chargeurs dans le ciel. Une vraie symphonie de pétarades. De là à ce que l'une de ces balles célestes retombe dans la boîte crânienne d'un garagiste endetté...
Il en faudrait plus pour embobiner Renée Ballard, cette inspectrice dopée à la nuit et dont c'est la quatrième apparition dans la galaxie Connelly. Toujours aussi intrépide, l'enquêtrice-surfeuse. Le gros souci, c'est sa coéquipière du moment: Lisa Moore, inspectrice de jour dans l'unité des crimes sexuels. La nuit, elle l'a en horreur. Les victimes qu'elle est censée protéger, elle s'en fiche. Et pourtant, "perdre son empathie, c'est perdre son âme ", observe à contrecœur Renée Ballard face à cette collègue ruisselante de sarcasmes et qui ne rêve que de batifoler avec son petit ami au lieu de faire le job.
Heureusement, il y a Harry Bosch, rattrapé au vol par la jeune inspectrice lorsqu'elle s'aperçoit que son garagiste assassiné fait trait d'union avec un vieux dossier dont s'occupait son mentor il y a quelques années. Le duo, hélas, fonctionne aussi mal que lors de leur première prise de contact, même si la mayonnaise avait ensuite fini par prendre lors d'un fameux incendie nocturne. Sauf que cette fois-ci, on ne reconnaît plus Bosch. Il est complètement momifié, béat d'admiration envers sa protégée et peu décisif dans la résolution d'une affaire dont le lecteur peine à entrevoir l'intérêt, entre dentistes véreux et "prêts par affacturage "...
La seconde affaire dont s'occupe Ballard s'avère moins barbante. Traquant deux violeurs en série, elle découvre ce que le Dark Web charrie de pire en matière de criminologie masculiniste. Pour le reste, elle a un nouveau chien, Pinto, et un nouveau petit ami, un pompier. Le chapitre canin est plus réussi que la partie caserne. Connelly paraît à vrai dire bien mieux avoir travaillé le contexte de son récit, et notamment tout ce qui a trait à la démotivation du LAPD (Los Angeles Police Department) dans une période qui va de l'assassinat de George Floyd à l'assaut du Capitole.
Les budgets de la police rognés, les hiérarchies taraudées par la peur d'une bavure, le mauvais esprit permanent dont une Lisa Moore n'est que l'excroissance la plus visible... Le maître du thriller à fort ancrage socio-politique rend parfaitement compte de ce climat sur fond de pandémie (les flics sont masqués, Bosch rechigne à se faire vacciner...) sans jamais vraiment hérisser son lecteur par telle ou telle prise de position personnelle. Sa relation à Los Angeles, en revanche, relève toujours de l'hymne amoureux, comme en témoigne un long et magnifique passage dédié à Sunset Boulevard et à la manière avec laquelle l'artère mythique, en rejoignant la plage depuis le centre-ville, déroule tous les visages de L.A., des moins avenants aux plus glorieux: "Cette rue semblait traverser cent villes, et pourtant il n'y en avait qu'une seule "...
Les Ténèbres et la nuit (The Dark Hours), Michael Connelly, Calmann-Lévy