Sans preuve & sans aveu
Ciel bleu, œil clair, vent marin. C'était l'été, il reprenait enfin son souffle. Au Printemps des monstres, mais aussi Pauline Dubuisson, l'inoubliable héroïne de La Petite femelle, étaient vraiment derrière lui à présent. Il se disait même qu'il allait passer à autre chose, arrêter avec les faits divers anciens et en attendant, "ne plus penser à rien, ni au crime, ni à la prison qui étouffe, ni aux erreurs qui détruisent des vies ".
Et puis un soir, au Cap-Ferret, un homme vient vers lui lors d'un dîner qui suit une séance de signature en librairie: 65 ans. De la gêne et de l'épuisement dans le visage. Du désespoir, surtout, à l'idée de passer sa vieillesse en prison pour un meurtre dont il se dit innocent et qui lui a pourtant valu un premier acquittement avant que les enquêteurs ne s'acharnent à nouveau sur sa personne. Alors au nom d'Alain Laprie, cet entrepreneur de la région bordelaise reconnu coupable sans preuve et sans aveu du meurtre de sa vieille tante 17 ans plus tôt avant d'être finalement incarcéré en septembre 2021, Philippe Jaenada repart au front.
Sauf que cette fois-ci, c'est en mode blitzkrieg: à peine moins de 250 pages, quasiment aucune digression. Même les parenthèses, marque de fabrique de l'auteur, sont passées au régime amaigrissant. Il est vrai que le temps est compté. "Pendant que je fais des phrases, un homme fermente dans une cellule ", écrit Philippe Jaenada. Bref, le procès en révision d'abord, la littérature ensuite. Quoi que... L'ironie mordante est toujours au rendez-vous, tout comme l'art de mettre en exergue le détail qui tue dans le maquis d'une procédure. Et puis cette impression que donne éperdument l'auteur de s'investir corps et âme dans tout ce qu'il raconte, c'est bien du Jaenada pur jus.
Alors certes, il manque a priori le recul historique, la focale sociétale, les flots furieux et tourbillonnants qui irriguaient notamment Au Printemps des monstres. Un bout de France pas forcément anecdotique imprègne en même temps le destin funeste de Marie Cescon, cette tante de 88 ans un peu acariâtre et à l'héritage tant convoité du côté de Pompignac, dans le Lot-et-Garonne. Tout entier dévolu à la défense de son coupable un peu trop idéal (Laprie est surtout enfoncé par son oncle devant lequel il aurait avoué son crime...) et renonçant pour une fois à se rendre sur place tant l'urgence taraude sa plume, Jaenada n'en éclaire pas moins, de manière feutrée, tout un milieu rural gangréné de frustrations et à l'affût du moindre parvenu.
Sa contre-enquête est en tout cas implacable. Centrée sur l'incendie qui a ravagé la maison de la victime, elle scrute au scalpel l'heure à laquelle a été ouverte -ou pas- une bonbonne de gaz, mais aussi la façon dont un feu peut couver dans un espace clos. C'est parfois ardu, mais l'auteur en fait une odyssée avant de démontrer qu'au moment du crime, l'accusé ne pouvait pas être présent au domicile de sa tante. Alors qui a tué la vieille ? C'est là où ce grizzli qu'est Jaenada, parce qu'il écrit sur une affaire toujours en cours, adopte soudain le pas de velours, faisant attention à ne jamais mordre le trait, allant même jusqu'à changer les noms des protagonistes en leur donnant comme pseudonyme des mois du calendrier, des fruits ou légumes, ou alors des initiales: Georges Novembre, Paulette Framboise, l'adjudant Radis, le major Y... Comme quoi entre incompréhension et indignation, l'auteur ne renonce en rien à ce brin de fantaisie chevillé à sa plume.
Sans preuve & sans aveu, Philippe Jaenada (Editions Mialet-Barrault)