Les 8 Montagnes
Que la montagne est belle en temps normal... sauf à Cannes, où des festivaliers parfois peu inspirés dans leurs coups de cœur ont curieusement ronchonné face au récit alpestre de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch. Le palmarès, heureusement, a rendu justice au couple belge en lui décernant un prix du Jury (ex æquo avec le déroutant EO de Jerzy Skolimowski) qui fait honneur à la sensibilité poignante de ce film, à la pudeur qui l'irrigue de bout en bout et à la beauté de ses paysages.
A contrario du pathos-coup de poing qui plombait son Alabama Monroe de 2013, Felix Van Groeningen s'est peut-être adouci avec l'âge, ou alors dans la collégialité d'une mise en scène qu'il partage désormais avec sa compagne. Sans doute lui a-t-elle aussi transmis de belles intuitions sur le mystère de l'amitié masculine tel que Paolo Cognetti le déplie dans le roman dont le film s'inspire en assumant jusqu'au bout sa mélancolie: deux gamins -le petit citadin et le petit montagnard- si proches malgré leurs différences, si complémentaires dans leur façon de réinventer l'espace autour d'eux... Et puis l'éloignement au fil du temps, les retrouvailles autour de la reconstruction d'une vieille maison, et la séparation de nouveau sans que jamais le lien ne soit complètement rompu entre Pietro et Bruno.
Chacun d'eux se ressource à sa manière. Bruno reste fidèle à ses pâturages, fussent-ils de moins en moins lucratifs, tandis que Pietro se réinvente au Népal, traînant derrière lui l'ombre d'un père devant lequel il a failli en randonnée lorsqu'il était enfant. C'est Bruno qui était alors devenu le fils de substitution. Difficile après ça d'êtres amis pour la vie, et pourtant... Les années passent, des personnages féminins apparaissent, peut-être moins bien dessinés que dans Le Secret de Brokeback Mountain (auquel on pense souvent, même si aucune connotation homosexuelle ne traverse le récit), mais qu'importe... C'est là un bien maigre bémol tant la mise en scène, dans ses ellipses gorgées de fluidité et son attention à l'égard des petits riens, ne cesse de nous fendre le cœur.
Et la montagne, alors ? A-t-elle le temps et surtout l'espace pour être toujours aussi belle dans un canevas aussi intimiste? Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch ont trouvé en la matière une solution fabuleuse, celle du vieux format 4:3 (format carré, pour faire simple) qui accentue la verticalité du Val d'Aoste italien où se déroule le récit tout en l'ajustant au mélange de raideur et de don de soi qui caractérise les deux principaux protagonistes. Là où le Scope aurait pu nous surplomber en haute altitude, c'est bien une montagne à visage humain, même lorsqu'elle ne fait pas de cadeau, qui nous offre à la fois un grand bol d'air et un grand bol d'émotion.
Les 8 Montagnes, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch, Prix du Jury à Cannes. Sortie en salles ce mercredi 21 décembre. Coup de projecteur le même jour sur TSFJAZZ (13h30) avec la réalisatrice et le réalisateur.