Samedi 30 septembre 2023 par Ralph Gambihler

Le procès Goldman

Flambeur et flamboyant, braqueur et desperado, hanté par sa judéité tout en la rendant indissociable du sort des Noirs, Pierre Goldman raffolait par ailleurs de salsa parisienne. C'est d'un pas plus lent, cependant, que 15 000 personnes accompagnent son cercueil au Père Lachaise le 27 septembre 1979, une semaine après son assassinat par balles en pleine rue, dans le 13e arrondissement de Paris. Fin d'époque, celle où l'extrême-gauche faisait encore peuple dans le sillon de mai 68, sauf que cet enterrement renforce encore davantage le mythe Goldman, presque aussi ardent que celui qui entourera plus tard son demi-frère chanteur, Jean-Jacques de son prénom.

C'est en ayant encore en tête ses "souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France " (son livre le plus célèbre) qu'on voit Pierre Goldman revivre à l'écran dans le film que Cédric Kahn consacre à son procès en appel, en novembre 1975. Accusé du meurtre de deux pharmaciennes lors d'un braquage ayant mal tourné, Goldman clame son innocence. Il veut bien voler pour la Révolution, mais ce n'est pas un assassin. À charge pour son avocat de l'époque, le futur ministre Georges Kiejman, de le tirer d'affaire malgré des relations parfois orageuses entre le défenseur et son client.

Le film est à la fois carré et troublant. Carré comme ce qui lui tient lieu de format pour le cadre, sec dans sa rythmique, redoutablement efficace et ne se perdant jamais en route, contrairement à ce qui a pu faire malencontreusement bifurquer d'autres films de prétoire dans un passé récent. La mise en scène, comme la direction d'acteurs, est cramponnée au texte des audiences, à la précision des témoignages. Si la justice est un spectacle, Le Procès Goldman en évacue toute la théâtralité. Seules pirouettes, les trois ou quatre effets de miroirs qui déséquilibrent volontairement certains plans comme l'a confié Cédric Kahn au micro de Mathieu Beaudou pour TSFJAZZ.

Le trouble vient d'ailleurs. Celui qui est censé le dissiper de par son magnétisme (même si le film évite de trancher sur la culpabilité ou non de Goldman...) n'apparaît pas forcément sous son meilleur jour. Imbu de lui-même, hâbleur, semblant moins s'adresser à la Cour qu'à son fan-club de jeunes gauchistes bourgeois venus en nombre au tribunal avec pour marraine Simone Signoret, l'accusé semble parfois jouer contre son camp. Arieh Worthalter, qui lui prête chair, a pourtant fière allure. Il sait aussi habiter les failles du personnage et son côté éternel perdant. Goldman se trompe d'époque, Goldman est à contretemps. Il ne sera jamais à la hauteur de ses parents résistants puisqu'il n'y a plus les nazis en face, et quand il part en Amérique Latine, guérilla guillerette en bandoulière, le Che est mort il y a déjà un an.

Un autre trouble rend le récit encore plus captivant. Il tient à l'association entre Kiejman et l'acteur qui l'interprète. Arrimé à son savoir-faire juridique ("La plaidoirie arrive toujours trop tard. Ce qui compte, c'est ce qui est acquis au cours des débats ", affirmait-il dans un entretien inédit exhumé récemment par Libération...), Georges Kiejman aura tenté en vain de tenir ses origines juives à distance avant de les revendiquer au final comme principal et seul trait d'union possible avec l'homme qu'il défendait. Ainsi oscillait-il entre le désir d'être uniquement perçu comme un avocat talentueux et le choix d'être également considéré en tant qu'avocat juif.

Avec le même savoir-faire mais cette fois-ci dans le jeu d'acteur, Arthur Harari produit aussi, paradoxalement, un je-ne-sais-quoi de décalé. Difficile de ne pas voir derrière le comédien accompli le réalisateur de l'immémorial Onoda et surtout le co-scénariste d'Anatomie d'une chute, autre film de procès doté d'une dramaturgie plus ample mais qui mêle là encore l'intime et le judiciaire. L'effet miroir, pour le coup, ne relève plus seulement de la pirouette.

Le Procès Goldman, Cédric Kahn (le film est sorti ce mercredi 27 septembre). À réécouter ici, le coup de projecteur sur TSFJAZZ avec Cédric Kahn au micro de Mathieu Beaudou.