Tina Modotti, l'œil de la révolution
Fut-elle la Mata-Hari de Staline au Mexique et en Espagne, ou alors une authentique héroïne révolutionnaire ? Tel que nous le restitue le Musée du Jeu de Paume, convenons au moins que le parcours de Tina Modotti est d'abord celui d'une aventurière émancipée. Issue de la classe ouvrière italienne, elle tente sa chance à Hollywood qui ne voit en elle qu'une starlette étrangement abonnée aux rôles de Mexicaines. Par un curieux hasard, c'est dans ce pays alors en pleine effervescence post-révolutionnaire qu'elle accompagne et pose dans les années 20 pour le photographe américain Edward Weston avant de voler de ses propres ailes.
Elle s'empare pour cela d'un Graflex, appareil qui n'autorise aucune sophistication lorsqu'il s'agit de photographier le quotidien des pauvres et les combats militants censés leur donner honneur et dignité. Proche par ailleurs du mouvement muraliste emmené par l'égocentrique et progressiste Diego Rivera, Tina Modotti entame alors un parcours parallèle à celui de la muse des muralistes, la peintre Frida Kahlo. Même beauté vénéneuse, même attirance pour la bohème, le folklore mexicain et les arts populaires... Tina Modotti immortalise les femmes prolétaires chevillées à leur bébé, des mains essorant le linge ou alors travaillant une terre qui ne leur appartient pas (il est tant question de réforme agraire à cette époque...), ou encore des jeunes hommes tout juste sortis de l'analphabétisme et qui lisent un journal politique.
C'est qu'entre-temps, elle a adhéré au Parti communiste mexicain sans jamais sacrifier dans son travail au moindre didactisme. Sa célèbre Femme avec drapeau n'a rien d'une pasionaria exaltée. La gestuelle est tout en finesse, l'expression du visage oscille entre fermeté et sérénité... Tina Modotti tend également vers l'allégorie lorsqu'elle filme en plongée une nuée de chapeaux identiques portés par les participants lors d'une manifestation du 1er mai. Elle cultive enfin un art tout personnel des natures mortes, à l'instar de sa composition "guitare, faucille et cartouchière " qui symbolise à la fois son appartenance politique, ses combats et son âme chantante, ainsi que le rôle unificateur de la musique dans la révolution mexicaine.
L'Histoire, avec sa majuscule parfois bien plombante, a pourtant interrompu l'œuvre. Tina Modotti est expulsée du Mexique en 1929 après avoir été accusée sans preuve d'avoir participé à une tentative d'attentat contre le président mexicain. Même rumeur pernicieuse à son encontre lorsque le dirigeant communiste Juan Antonio Mella, qui était son amant, est abattu sous ses yeux par des agents de la dictature cubaine alors qu'il venait tout juste d'afficher des sympathies trotskystes. Tina Modotti participe ensuite à la Guerre d'Espagne au chevet des réfugiés avant de s'afficher avec un agent du Komintern, Vittorio Vidali, commis, dit-on, à certaines basses oeuvres même s'il a toujours nié être impliqué dans les assassinats d'Andres Nin, le leader du POUM en Espagne, et de Léon Trotsky à Mexico.
De quoi assombrir le parcours trop bref de Tina Modotti, qui meurt à seulement 45 ans d'une crise cardiaque dans un taxi, en 1942, alors qu'elle était revenue seule au Mexique. De fait, elle ne gagna aucun poste ni galon particulier en ces temps si convulsifs, comme si elle n'était "femme d'appareil " que dans le champ propre à son art. Le Musée du Jeu de Paume en propose une synthèse à la fois épique et intime, même si quelques agrandissements de photos n'auraient pas été de trop.
Tina Modotti, l'œil de la révolution. Musée du Jeu de Paume, à Paris, jusqu'au 12 mai.