Voyage à Gaza et autres films sur Israël/Palestine (Festival Cinéma du Réel)
D'abord la sidération, celle née des massacres de civils israéliens perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023, puis le désespoir de voir sans cesse alourdi, chaque jour durant, le prix du sang à Gaza réduite sous le feu de Tsahal à un cimetière d'enfants et un amas de gravats. Presque six mois de guerre dans l'enclave palestinienne bombardée, assiégée et affamée par Benyamin Netanyahu et son gouvernement d'extrême-droite sous le regard de plus en plus critique des Occidentaux sans que ces derniers n'en tirent réellement les conséquences, accréditant le tristement fameux "deux poids deux mesures " au regard d'autres enfers de par le monde où on les a vus bien plus entreprenants. Face à cette sidération et ce désespoir, la caméra apparaît comme un outil bien dérisoire et en même temps tellement précieux lorsqu'il s'agit de comprendre une situation dont les racines sont bien antérieures au 7 octobre, et lorsqu'il s'agit surtout de partager un chagrin, une colère, une cause... Quatre films documentaires présentés lors de la 46e édition du festival Cinéma du Réel ont ainsi mis du baume sur nos traumas. En ressortant des projections, même sous le poids de l'émotion, on respirait un peu mieux...
Voyage à Gaza, du jeune documentariste italien Piero Usberti, nous emmène à Gaza en 2018. L'enclave saignait déjà sous l'effet du blocus israélo-égyptien et des "marches pour le retour " durement réprimées par les snipers israéliens à la frontière avec l'État hébreu, mais Gaza continuait pourtant à vivre en des lieux transformés aujourd'hui en décombres. Sa jeunesse, à la fois si attachée à la ville et rêvant tout autant de la fuir, se réunissait notamment dans un endroit surnommé "Le Champ aux fraises ", mi-ferme, mi-café, tel un interstice Strawberry Field... La caméra de Piero Usberti filme tout cela avec délicatesse, tellement évocatrice rien qu'à scruter une simple fenêtre ouverte tout en enregistrant les sons de la ville au même moment.
Même humilité du documentariste lorsqu'il laisse la jeune femme qui lui sert de guide interviewer de jeunes adultes palestiniens qui ont manifesté au péril de leur vie. Voyage à Gaza ne roule pas pour le Hamas, loin de là, notamment lorsque le jeune Mohanad, qui se revendique communiste et athée, montre sa bibliothèque promise à l'autodafé qu'on imagine de la part du mouvement islamiste palestinien. Seuls bémols, une voix off un peu envahissante au départ et un commentaire historico-politique dont la raideur met un peu mal à l'aise. Le film sortira en salles cet automne.
Aucun commentaire superfétatoire, en revanche, dans No Other Land, même si ces auteurs ont été au cœur de la polémique à l'issue du récent festival de Berlin où ils ont été distingués dans la catégorie documentaire. Leurs images parlent d'elles-mêmes, et elles sont accablantes. Le jeune Palestinien Basel Adra et son ami activiste israélien, Yuval Abraham, nous immergent en pleine occupation israélienne en Cisjordanie. Le premier filme avec son téléphone, le second n'a pour seule arme que son stylo de journaliste. Villages progressivement éradiqués, manifestants contre soldats, colons exaltés... Il faut avoir un cœur de pierre pour rester insensible à la séquence dans laquelle un bulldozer détruit une école. Le film questionne avec aussi beaucoup de pudeur le lien à la fois fraternel et ambigu entre deux jeunes militants dont l'un, contrairement à l'autre, reste libre de ses mouvements. il faut aussi citer à la co-réalisation Rachel Szor (à qui on doit des paysages magnifiques...) et Hamdam Ballal.
Autre regard, peut-être le plus touchant et le plus inventif formellement parlant, celui proposé par The Roller, The Life, The Fight, d'Elettra Bisogno et Hazem Alqaddi. À Gaza, ce dernier craquait sur des vidéos de patinage artistique. A Bruxelles, il a rencontré Elettra. Ils ont voulu filmer leur amour naissant mais avant, il leur fallait régler un gros souci administratif... Caméra toujours en mouvement, même si elle n'enregistre parfois qu'un fragment, ou alors une impasse, et finalement un rebond de vie, de combat... et de roller.
Un récit particulièrement évocateur et surprenant pour finir. Dans Under a Blue Sun, L'Israélien Daniel Mann part sur les traces de Rambo III, tourné dans les années 80 en plein désert du Néguev avec un Sylvester Stallone en fier allié de la nation musulmane afghane. Le tournage, pourtant, se déroulait dans un espace dont les Bédouins avaient été dépossédés pour devenir une zone d'entraînement de Tsahal. Avec pour guide Bashir, un Bédouin palestinien qui était alors chargé des effets spéciaux, le réalisateur observe les logiques d'expropriation à l'œuvre (jusqu'à cette implantation d'une forêt de pins destructrice de tout un écosystème et dont se glorifiait à l'époque Shimon Peres alors que le seul objectif était de chasser des habitants de leur terre...) tout en développant un propos satirique sur une icône du cinéma populaire. Ce beau film interroge aussi le rapport entre fiction et réel, à l'heure où d'autres explosions, contrairement à celles de Rambo III, n'ont plus rien d'artificiel.
Voyage à Gaza, Piero Usberti. No Other Land, Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor et Hamdam Ballal. The Roller, The Life, The Fight, Elettra Bisogno et Hazem Alqaddi. Under a Blue Sun, Daniel Mann. Festival Cinéma du Réel au Centre Pompidou, à Paris.