Jeudi 14 octobre 2010 par Ralph Gambihler

Youn Sun Nah au Duc des Lombards

Mademoiselle Youn Sun Nah swingue en toute délicatesse de Léo Ferré à Metallica. Il est vrai que par définition swinguer, c'est balancer, et que dans le genre écartelé, cette lumineuse chanteuse venue du pays du matin calme est plutôt une adepte des grandes brassées. Entre une balade traditionnelle apprise dans sa Corée natale et un bon coup de "Jockey Full of Bourbon" version Tom Waits, le Duc des Lombards lui fait sa fête cette semaine, à l'occasion de la sortie de son nouvel album ironiquement intitulé "Same Girl"...

La même fille, vraiment ? Mais alors elle se donne à mille miroirs différents, cette voix multi-lianes qui pointe à tous les registres: tour à tour soprano et baryton, aérienne et souterraine, fluide et cassante, Youn Sun Nah chuchote, ulule, frémit, feule... Elle peut être à la fois le battement d'ailes d'un papillon et la mousson longtemps retenue, un arc-en-ciel d'après l'orage ou alors l'orage juste avant l'arc-en ciel... "Uncertain Weather", chante-t-elle dans son nouveau disque...

L'entendre scatter n'est pas la chose la plus déplaisante, surtout lorsqu'il s'agit de ressusciter un vieux Calypso de Nat King Cole... La manière dont elle "asiatise", par la grâce d'une simple kalimba à quatre notes, l'incontournable "Favorite Things" de John Coltrane relève encore d'un autre bonheur... Et pour ne rien gâter, la sirène nous a dégoté un vieux pote au look de marin déluré en la personne du très nordique Ulf Wakenius, dernier guitariste d'Oscar Peterson... Ces deux là possèdent à la perfection l'art de se placer l'un par rapport à l'autre, ce qui n'est pas si évident au regard de leurs tempéraments d'acrobates.

Aux dernières nouvelles, mademoiselle Youn Sun Nah s'est hissée en tête des ventes jazz en France, comme si le public avait décidé d'envoyer valser les lolitas trop calibrées ou les divas bien carrées qui font l'ordinaire du jazz vocal féminin... Qu'une princesse coréenne déglinguant radieusement tous les formats se taille ainsi "la part de la lionne" devrait faire réfléchir bien des états-majors au sein de certains gros labels.

"Same Girl", de Youn Sun Nah (Act).