Mercredi 29 mai 2013 par Ralph Gambihler

Walking Shadows

Sur la pochette du disque, des walking shadows rentrent au bercail dans le doux grisé d'une fin de journée. Ombres errantes, silhouettes anonymes et fugitives, elles pourraient très bien déambuler sur l'air de "Final Hour", compo crépusculaire de Joshua Redman bordée par une lancinante boucle de piano signée Brad Mehldau. Le son de sax, pourtant, s'élève peu à peu vers la fin de ce morceau tellement poignant mais trop court. Ce sont alors violons et carillons qui en prolongent le bref élan sur le titre suivant à travers cette fois-ci une composition du pianiste, le magnifique "Last Glimpse of Gotham"...

Cette articulation entre la 9e et la 10e plage de l'album en résume tout le bonheur. Joshua Redman rêvait de cordes et de ballades, Brad Mehldau a transformé le rêve en écrin. A la fois producteur, arrangeur et accompagnateur, il offre à son vieux pote d' "Highway Rider" (autre opus riche de textures et d'orchestrations aventureuses), l'album de la maturité auquel aspirait tant Joshua Redman alors même que le saxophoniste nous était déjà apparu au sommet de son art dans les chevauchées pop et l'aventure collective de  "James Farm", sorti il y a deux ans...

La sonorité de l'instrument, ici, est encore plus chantante... Joshua Redman a écouté Frank Sinatra et Sarah Vaughan avant de se jeter à l'eau. Résultat: un phrasé tout en chaleur, en élégance et en rondeur alors que des configurations plus complexes (Le double trio de "Compass", par exemple...) le contraignaient autrefois à "tailler dans la haie" avec un style plus incisif, ainsi qu'il le disait joliment l'autre soir à David Koperhant dans le 20h de TSFJAZZ. Il faut dire que le saxophoniste est tout sauf noyé dans ce "Joshua with strings". Les cordes sont là, au contraire, pour "élever" le solo, sans collages ni artifices. Le tout a d'ailleurs été enregistré en son direct, comme pour mieux privilégier le naturel et la musique dans ce qu'elle peut avoir de plus organique.

La rythmique, elle non plus, n'en fait pas des tonnes. Larry Grenadier et Brian Blade se suffisent à eux-mêmes. Il n'y a plus dés lors, qu'à se laisser porter par un "Adagio" de Jean-Sébastien Bach bouleversant d'intimité ou encore par l'immense "Lush Life" de Duke Ellington dont la complexité n'enchaîne en rien le lyrisme désespéré. Quant à ceux qui commencent vraiment à nous gonfler grave en ricanant dés qu'un musicien de jazz s'entoure d'un orchestre à cordes alors qu'il s'agit là de l'un des plus beaux rituels dans l'histoire de la note bleue (Charlie Parker, Clifford Brown...), qu'ils écoutent et réécoutent ce que Joshua Redman fait de "Infant Eyes" de Wayne Shorter... Peut-être alors rejoindront-ils les ombres mouvantes et émouvantes qui hantent ce "Walking Shadows" beau à tomber par terre.

"Walking Shadows", de Joshua Redman (Nonesuch Records)