Vendredi 23 juin 2023 par Ralph Gambihler

Vers un avenir radieux

Le début fait un peu peur. Comme dans les pires Woody Allen où l'acteur et ses tics cannibalisent le réalisateur, Nanni Moretti en fait des tonnes en cinéaste caractériel, imbu de lui-même, criant à tout-va et articulant de manière outrancière. Bref, le vieux con parfait. Sauf qu'il évolue, comme si une sorte de folie douce s'emparait de lui. Elle le rend aussi irrésistible qu'imprévisible à tel point qu'à la fin du film, le personnage ne parade plus du tout de la même manière qu'au début, à l'instar du défilé coloré et fraternel réunissant autour du cinéaste tous ses interprètes et ceux de ses précédents longs-métrages.

On l'aura compris, l'utopie est au cœur du propos de Nanni Moretti mais toute sa saveur vient paradoxalement de l'ironie qui la gangrène. Qui aujourd'hui passe encore ses soirées à regarder Lola de Jacques Demy en dégustant de la glace, et quel producteur accepterait de financer un feel-good movie sur les états d'âme des communistes italiens lors du soulèvement hongrois de 1956 tout en y mêlant des numéros de cirque ? "Il y avait des communistes en Italie ? Ce n'était pas plutôt des Russes italiens ? " , s'étonne-t-on au sein de l'équipe de tournage, au grand désarroi du réalisateur.

Le camarade Moretti décidément n'a pas fini de lever les yeux au ciel. Voilà que son actrice principale, qui ne jure que par Cassavetes et le free jazz, entend détricoter son film politique en bluette amoureuse. Sur le plateau de tournage, des éléphants allemands et français ont dû mal à cohabiter. Un producteur-escroc (Mathieu Amalric en plein numéro...) en rajoute dans la désinvolture tandis que dans la vraie vie, c'est tout aussi compliqué: l'alter ego de Moretti est au bord du divorce tandis que sa fille s'apprête à se marier avec un diplomate polonais sexagénaire.

Il en fait des tonnes, oui, le réalisateur de La Palombella Rossa, mais cela lui va tellement mieux que le sinistre Tre piani même si on peut par ailleurs regretter la finesse dramatique de Mia Madre. Sa mise en scène en tout cas a du rythme, du souffle. Pour preuve, ce prodigieux travelling ponctuant une scène qui l'est tout autant: sans un regard en arrière, suivant pour ainsi dire sa propre parallèle, Moretti - ou plutôt son alter ego- quitte un autre plateau de tournage où il s'est confronté à un sous-Tarantino dénué de tout sens éthique. Il a tout de même tenté de lui expliquer comment, dans une vie antérieure, quelqu'un comme Kieslowski filmait la violence dans Tu ne tueras point.

Même nostalgie décomplexée lorsque le réalisateur avait ironisé sur son propre coup de vieux il y a deux ans au sujet de la palme d'or à Cannes décernée à Titane, ce film "dont le premier rôle tombe enceinte d'une Cadillac "... Le tableau ne serait pas complet évidemment si Netflix n'en prenait pas aussi pour son grade. Là encore, séquence succulente malgré la grosseur du trait. Qu'importe, rêver à un avenir radieux (à défaut d'y croire) peut vous donner une sacrée pêche, au même titre qu'une BO réunissant Joe Dassin avec Et si tu n'existais pas et Aretha Franklin dans The Blues Brothers.

Vers un avenir radieux, Nanni Moretti, Festival de Cannes 2023, sortie en salles le mercredi 28 juin.