Une façon d'aimer
Le dernier chapitre débute ainsi: "Que reste-t-il à raconter ? " Sourire... Il est vrai que jusqu'ici, le bijou d'écriture que signe Dominique Barbéris a effrontément tourné le dos à toute ampleur romanesque. Pour qu'il reste encore quelque chose à raconter, encore faut-il qu'il se soit passé quelque chose. Mais non, comme un étrange reflet au "Tu n'as rien vu à Hiroshima" de Marguerite Duras, il ne s'est rien passé à Douala malgré les troubles de la décolonisation qui perturbent cette cité portuaire du Cameroun à la fin des années 50. Rien, mis à part un embryon de romance entre une provinciale un peu raide et un aventurier séducteur. À peine a-t-il osé lui avouer qu'il avait "beaucoup... d'affection " pour elle.
Comment faire roman de cette façon d'aimer ? Comment faire roman déjà avec ce personnage féminin, Madeleine la nantaise, tardivement mariée à un époux qu'elle a suivi au Cameroun et qui lui non plus ne fait guère d'étincelles? Madeleine, certes, a un petit air de ressemblance avec Michèle Morgan, mais aucun Quai des brumes ne vient la transcender du côté de Douala, et elle reste évidemment plantée au bord de la piste de danse quand survient, dans la bonne société coloniale de l'époque, une soirée à la India Song qui va pourtant s'avérer décisive.
Bref, il faut apprécier l'extinction des feux pour la remarquer. Ou alors ce "noyau d'ombre", comme le formule si joliment Dominique Barbéris au micro de TSFJAZZ, qui peut encore faire vibrer les femmes ordinaires. Un charme diffus et suranné enveloppe le lecteur. Comme Madeleine, la mélancolie qui nous imprègne sait se tenir tandis que les fêlures dont la prose de Dominique Barbéris se fait l'écho ne tolèrent qu'un seul adverbe: subrepticement. On avait découvert cette romancière il y a quatre ans dans Un dimanche à Ville d'Avray. Un ton nous retenait, telle une lumière fléchissante, mais le parc de Saint-Cloud comme seul horizon, c'était un peu cheap par rapport aux pluies de Douala.
Et puis les soirs d'Afrique, quand même ("Des ombres d'arbres sur un mur blanc; les flamboyants, les jaracandas, la citronelle plantée devant la maison, son odeur aigrelette, le ronron des moustiques autour des lampes-tempête (...) Les bâtons de manioc fermentés, le rire en grelot d'une petite fille "...), quelle allure ! Lectrice accomplie de La Princesse de Clèves, Dominique Barbéris connaît par cœur ce qui chemine entre latence et renoncement. Et si ces petits riens et ces petites touches imprimaient davantage, parfois, qu'une liaison "consommée "? C'est ainsi, du moins, qu'une autre Madeleine chantée par Jacques Brel, celle qu'on attend mais qui ne viendra pas, est devenue à jamais immémoriale.
Une façon d'aimer, Dominique Barbéris (Gallimard). Coup de projecteur avec l'autrice sur TSFJAZZ (13h30), jeudi 12 octobre.