Jeudi 17 juin 2021 par Ralph Gambihler

Une Cathédrale à soi

Dans une vie antérieure, Dave Robicheaux, le détective cajun cher à James Lee Burke, croyait voir des soldats confédérés dans une brume plus mortifère qu'électrique. Bertrand Tavernier avait tenté de mettre cela en images dans ce qui n'était pas son meilleur film. Et voilà que les hallucinations le reprennent !  Dans Une Cathédrale à soi, Robicheaux s'embourbe dans la vision d'un galion aux voiles noires que seul son acolyte préféré, le très impulsif Clete Purcel, entraperçoit lui aussi dans ses moments de dérive.

Ce galion-fantôme qui semble être une resucée des bateaux d'esclaves d'autrefois accompagne un personnage à première vue maléfique, Gideon Richetti, créature reptilienne ayant traversé les époques, de l'Inquisition à la période Mussolini. De quoi brouiller encore davantage les règlements de comptes entre deux familles de mafieux qui s'affrontent tels les Capulet et les Montaigu avec dans la peau de Roméo un guitariste héroïnomane et dans celle de Juliette une jeune chanteuse diaphane promise à l'oncle de son amoureux, lequel veut en faire son esclave sexuelle tout en traficotant avec l'extrême-droite néo-nazie la plus imbuvable.

On l'aura compris, le nouveau James Lee Burke ne brille pas par sa frugalité. Comme dans La Fête des Fous, celui qu'on a surnommé le "Faulkner du polar " peine de plus en plus, désormais, à éviter lourdeurs et clichés dans ses improbables cocktails de gothique et de panthéisme louisianais. Ce n'est que lorsque sa prose se fait plus sèche -sa description, par exemple, des exécutions capitales dans la prison d'Angola- que James Lee Burke retrouve l'intensité si scotchante de Lumière du monde, l'un de ses derniers joyaux.

Pour le reste, Robicheaux ressasse ses vieux démons: l'alcool, la guerre au Vietnam, sa mise à l'écart plus intermittente qu'autre chose de la police, son veuvage (lequel ne lui interdit pas visiblement de séduire de superbes créatures), et surtout les éternelles racines du mal que la moiteur louisianaise rend encore plus étouffantes. Entre deux orgies sanguinolentes, il se rend tout de même compte que "chacun possède une cathédrale à soi, un lieu particulier où revenir quand le monde pèse trop sur nous, dans le passé et le futur, et que le sentiment de perte et de désespoir se lèvent avec le soleil ". C'est joliment écrit, mais la sobriété, notamment en littérature, n'est pas non plus sans charme.

 Une Cathédrale à soi, James Lee Burke (Éditions Rivages)