Uncertain Weather
La météo écossaise, dit-on, relève davantage de la cartomancie que de la science. Un peu comme les battements de cœur de Lou Tavano. Passion et mélancolie, fusion et lassitude, envols et tourments. Faites voyager tout ça dans une maison perdue des Highlands face à l'Atlantique où l'on peut s'isoler pour composer en paix, pas loin des eaux sombres du Loch Ness, de la verdeur soudainement étincelante d'une colline ou de la chaleur des pubs, et vous aurez Uncertain Weather avec ses différents climats qui vous remuent en même temps qu'ils vous emportent.
Au départ, il fallait se ressourcer. Anticyclones, masses d'air océaniques, dépressions carabinées... Le temps était déjà plus qu'incertain dans la période post-For You, l'album qui a révélé en 2016 la chanteuse Lou Tavano et son compagnon dans la vie comme au clavier, Alexey Asantcheeff. Paris les étouffait alors même que leurs relations avec le partenaire originel, le label ACT, se tendaient inopinément. Besoin d'espace, besoin d'ailleurs, pour redonner sens à ses propres élans, qu'ils soient d'ordre artistique, amoureux ou existentiel. L'Ecosse sera leur Californie.
Là-bas, autour d'un vieux piano à queue, dans cette fameuse maison face à la mer, Lou Tavano a ciselé des textes venant du tréfonds de sa sensibilité. Cœur-cactus, comme chez Joni Mitchell, qu'elle adore. "Sur mes lèvres, du rouge, du rouge pour ne pas céder au noir", chante-t-elle dans le fulgurant J'Attends, l'un des deux morceaux en français de l'album, celui qui vous foudroie dès les premières secondes lorsqu'une voix-scalpel lâche: "Il y a des jours comme cela "... Rien à voir avec les frissons d'une mijaurée. Juste des hymnes amoureux relevant autant du combat que de l'abandon, du cheminement en soi que hors de soi, et aussi de ces tempêtes intérieures qui délivrent souvent de beaux arcs-en-ciel.
Alexey Asantcheeff y a mis de son âme lui aussi, ne serait-ce que sur le délicat As We Part. Il a également fait défiler les saisons autour de cette introspection au féminin singulier, sculptant un camaïeu d'arrangements: nuages, bourrasques, soleils, avec toujours ce toucher de piano chaleureux et cette ligne mélodique qui savent accrocher l'auditeur dès les premières notes. Belle partie au clavier, par ailleurs, dans le si enlevé The Dancer alors que Memories of tomorrow et Uncertain Weather, dans des registres diamétralement opposés, subjuguent par leur dramaturgie et leur enveloppe sonore.
Moins mainstream, peut-être, que For You, le disque touche d'avantage. D'abord au regard de ce souffle et de ces variations d'octave qui ont fait pendant longtemps de la voix de Lou Tavano le secret le mieux gardé du jazz parisien. Ensuite par les choix opérés dans l'orchestration et la réalisation (confiée à Sébastien Vidal) de l'album: Des chœurs (Éric Perez et Pierre Tereygeol) plutôt que des cuivres, un batteur (Ariel Tessier) et un contrebassiste (Alexandre Perrot) orfèvres en variations de tempos, et surtout un violoncelliste venu du classique, Guillaume Latil, dont les effluves celtiques et langoureuses donnent à cet Uncertain Weather une tonalité poignante. Le genre de disque qu'on écoute à cœur ouvert.
Lou Tavano, Uncertain Weather (L'Un L'Une). La chanteuse sera l'invitée de Deli Express, ce vendredi 14 février... jour de la Saint-Valentin ! Concerts au Duc des Lombards les 27, 28 et 29 février.