Dimanche 27 septembre 2020 par Ralph Gambihler

Un pays qui se tient sage

Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, le journaliste indépendant David Dufresne ausculte au scalpel les violences policières. Ponctués par un mordant Allô, @place_beauvau, ses tweets signalant samedi après samedi coups et blessures infligés aux manifestants ont largement contribué à rendre caduc le propos péremptoire du président de la République lorsqu'en mars dernier, il lançait "Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit."

Sauf que David Dufresne n'est pas seulement journaliste, et on touche là à un sujet plus délicat. De son premier roman, Dernière sommation, et au regard de quelques extraits publiés, on s'était déjà prudemment tenu à distance. Trop puérile, la poétique de l'insurrection appliquée aux gilets jaunes tant ce mouvement est complexe, même si on peut comprendre l'empathie qu'il suscite. Les écueils de Un pays qui se tient sage relèvent un peu de la même veine.

Comment "penser" la violence policière en France sans traiter de manière tout aussi approfondie l'autre violence originelle à laquelle elle est censée répondre et qui a finalement contribué à donner sens à ce qui pouvait apparaître, au départ, comme un magma politiquement informe ? Il ne s'agit aucunement de mettre ces deux types de violence sur un même pied d'égalité, mais désolé, cher David Dufresne, on ne peut pas gamberger sur l'autre en faisant quasiment abstraction de l'autre.

Les chercheurs qui défilent à l'écran génèrent le même malaise. Outre le fait qu'on a du mal à comprendre la raison pour laquelle ils ne sont pas identifiés (nom, fonction...), les platitudes qu'ils délivrent dans le registre de l'anti-macronisme primaire s'engluent trop souvent dans la moraline. Un représentant de l'ONU se glisse parmi eux. Celui-là a plus d'envergure. Mais venons-en à la partie qui pose le plus de soucis: le syndicaliste policier en face-à-face avec un jeune contradicteur, le journaliste militant Taha Bouhafs. La façon dont ce syndicaliste est traité, cadré, filmé (en plus, il est chauve !), avec des propos qui semblent avoir été délibérément tronqués, participe d'un procédé inutile et contre-opérationnel. On pourrait presque comprendre, a posteriori, que certains responsables de la police aient refusé de participer au film.

Reste le statut tout autre d'un dérapage policier lorsqu'il n'est plus seulement enregistré sur un smartphone mais qu'il accède aux dimensions d'un grand écran... David Dufresne parvient également à une vraie puissance d'émotion en filmant non pas des sociologues, mais des victimes, et la séquence des lycéens de Mantes-la-Jolie ("Voilà une classe qui se tient sage "...) devient définitivement emblématique de ce qu'est devenu notre pays sous le régime de la macronie.

Sauf que là encore, on passe trop vite sur le statut de ces images au sein même du mouvement des gilets jaunes et à ce passage décisif (si bien cerné dans le film de Stéphane Brizé, En guerre...) entre mouvement social et mouvement social en représentation. D'un samedi à l'autre, s'agissait-il seulement de manifester, ou alors aussi de se filmer en manifestant et de filmer l'autre, presque dans l'attente de la séquence qui ferait le buzz et qui confirmerait la nature répressive du régime ? Et les revendications initiales, que deviennent-elles ? Cette ultime question, après tout, relève d'un autre sujet...

Un pays qui se tient sage, David Dufresne (Sortie en salles ce mercredi 30 septembre)