Jeudi 23 septembre 2010 par Ralph Gambihler

Un homme qui crie

Mahamat-Saleh Haroun ou l'art du premier plan... Par la seule grâce d'une séquence d'ouverture dans la piscine d'un grand hôtel de luxe, le réalisateur tchadien de "Daratt, saison sèche" détourne d'emblée tous les clichés propres à un certain cinéma africain... "Un homme qui crie", Prix du Jury au dernier festival de Cannes, va ainsi se déployer au fil de l'eau, jusqu'au plan final, aux abords d'un fleuve où cette fois-ci il n'est plus question de remonter à la surface.

Entre ces deux plans, entre le concours d'apnée qui voit un père rivaliser avec son fils et le voyage funèbre au gré d'un long cours d'eau saisi en pleine aurore, une de ses énièmes guerres civiles dont le Tchad est coutumier va plonger Adam et son fils dans l'enfer. Adam...

Il lui faut évidemment un prénom biblique à ce père qui, comme s'il voulait se venger d'avoir perdu son poste de maître-nageur dans un hôtel de N'Djamena tenu par des Chinois, en vient à sacrifier son fils -celui-là même qui lui a piqué sa place- en l'envoyant participer à l'effort de guerre sous la pression d'un chef de quartier "patriote"... Le drame se noue ainsi sur deux fronts: le champ militaire et celui de la mondialisation. Adam y perdra progressivement tout instinct de filiation avant d'entamer, trop tard, le chemin de la rédemption.

D'une cruauté insoutenable, le propos d'  "Un homme qui crie" est pourtant soutenu par une mise en scène extraordinairement délicate et remarquable de sobriété et de pudeur. L'émotion étreint le spectateur, peu à peu, comme elle submerge la petite amie du fils lorsque ce dernier lui envoie une cassette dans laquelle il raconte son calvaire à la guerre... On pourra aussi trouver dans ce film une réponse cinglante au fameux verdict sarkozyste selon lequel l'homme africain ne serait pas encore entré dans l'histoire... Ce que nous dit Mahamat-Saleh Haroun, c'est que la seule question qui se pose, dans un continent aussi meurtri, c'est de pouvoir entrer dans l'humanité avant même d'entrer dans l'histoire, et que c'est là une tâche immense face à toutes les chaînes dont l'Afrique est prisonnière.

"Un homme qui crie", de Mahamat-Salehj Haroun (Sortie en salles le 29 septembre) Coup de projecteur avec le réalisateur ce vendredi 24 septembre sur TSFJAZZ à 8h30, 11h30 et 16h30