Un autre monde
Un autre monde, certes, mais le discours reste le même. Après La Loi du marché et En Guerre, Stéphane Brizé poursuit son réquisitoire contre la violence sociale, les mœurs d'une économie mondialisée, son inhumanité congénitale... Vincent Lindon, son acteur fétiche, repart aussi au combat, non plus sous les traits d'un vigile de supermarché anesthésié par ce qu'on lui fait faire, ou alors dans la peau d'un délégué syndical fracassé par l'échec, mais plutôt dans celle d'un patron d'usine contraint de virer 10% de ses effectifs sous la pression de la multinationale pour laquelle il bosse.
Ce changement de focus n'est pas si nouveau. Dans En Guerre, la caméra de Brizé était déjà attentive à une multiplicité de points de vue et la direction française du groupe qui ordonnait une fermeture d'usine n'en menait pas large. Un autre monde a par recours à un procédé scénaristique déjà utilisé dans La Loi du marché où Lindon avait un enfant handicapé. Ici, le gamin, certes un peu plus âgé, paraît souffrir d'autisme.
Bref, un dispositif s'épuise, jusqu'à d'ailleurs faire disparaître tout dispositif original dans la terne, grisailleuse et poussive mise en scène qui accompagne le propos. Le réalisateur reprend la miraculeuse alchimie acteur professionnel/non professionnels de La Loi du marché pour mieux l'affadir. Quant à la passionnante exploration du leader syndical piégé par son ego et sa propre représentation dans En Guerre, elle appartient tout autant au passé. Lindon, du coup, est condamné à faire du Lindon, et vu qu'il a beaucoup occupé les écrans dernièrement, on commence à saturer.
De fait, l'acteur-caméléon est en bout de course. Décharné et silencieux dans La Loi du marché, si vif au contraire (mais une vivacité toxique, inflammable...) dans En guerre, il n'invente plus rien dans ce nouveau personnage mis à part un vague processus de rédemption paresseusement décliné. À ses côtés, Sandrine Kiberlain fait encore davantage pâle figure, larmoyante à l'excès dans la partie familiale extrêmement faible du récit. Seule la surprenante Marie Drucker en patronne de choc glaçante et effilée nous sort de la léthargie.
Un autre monde, Stéphane Brizé (en salles depuis le 16 février)