Trois jours à Oran
On croyait la connaître par coeur, cette veine littéraire... Celle, en l'occurrence, du retour au pays mâtiné de folklore pied-noir. Erreur sur la personne. Erreur, surtout, sur le père. Car ce paternel qu'Anne Plantagenet ramène à Oran en 2005 n'a rien à voir avec ces "rapatriés" hâbleurs et réacs qui en rajoutent dans le grotesque "parce qu'ils ont compris qu'il valait mieux faire rire avec le chagrin".
Lui est plus taiseux. Pas de portable, peu de conversation. Que pense-t-il, au fond de lui-même, de ce voyage que lui a imposé sa fille au pays à "la terre jaune" dont la rive, au moment de l'Indépendance, s'est éloignée aux yeux de toute une communauté ? Dans l'avion, il ne dit rien. Refuse tout guide touristique. Et soudainement s'anime, à peine le pied posé sur le sol oranais. Il avait peur de ne rien reconnaître, mais c'est Oran qui le reconnait. Et le voilà qui exhume une topographie enfouie avec Amin, ce jeune chauffeur algérien qui n'a pourtant rien vécu de l'époque coloniale. Ils relocalisent, tous les deux, l'ancienne rue Condorcet, le marché Michelet, les cinémas d'antan... Même les plaques de rue jonglent avec le temps ! La plus récente, en français et en arabe, est déjà toute rouillée alors que la plus vieille, située juste au-dessous, "reluit comme au premier jour"...
Moins reluisant, le chemin qui mène à la vieille ferme natale où régnait autrefois Antoinette Montaya, la grand-mère étouffante et un peu caricaturale dont le décès a précédé cette virée à Oran. Une grotte minable, une église blanche bien difficile à localiser, un drôle de hangar "rattrapé par le béton"... Quête des origines ? Affranchissement, plutôt. Surtout du point de vue de la narratrice qui, au gré d'un parallèle remarquable sur le plan littéraire, fait le trait d'union entre ce voyage en Algérie, les sentiments de honte et de culpabilité qui ont longtemps été les siens, et le saccage de son propre équilibre conjugal lorsqu'elle rencontre un autre homme. "Toutes nos passions sont des reconstructions", écrit-elle.
Peut-être en dira-t-on autant d'un univers qui s'est nettement reconfiguré en concision et en authenticité là où Anne Plantagenet nous avait laissé sur notre faim, il y a trois ans, avec les bobos parisiens de Nation Pigalle... C'est un tout autre choeur que Trois jours à Oran nous fait entendre. Au plus près de l'intime on y "entend" le soleil, la pudeur ou encore la voix brisée d'un père finissant par craquer au souvenir d'un Meccano cassé pour toujours. Poignant Rosebud en terre algérienne.
Trois Jours à Oran, d'Anne Plantagenet (Editions Stock). En librairie depuis le 3 janvier. Coup de projecteur avec l'auteur, mardi 7 janvier, sur TSFJAZZ (12H30)