Tout peut s'oublier
Des êtres en crise ou en fuite, vaguement asociaux et peu en phase avec leur environnement politique au sens large du terme définissent depuis plusieurs années l'univers romanesque d'Olivier Adam. Lui-même s'est presque fondu dans cette topologie de caractère, ex-auteur en vogue quelque peu sous-coté désormais dans le milieu germanopratin. Peut-être parce qu'à ses récits, si attachants soient-ils, il manque parfois un supplément d'incarnation ou d'authenticité, quand ce n'est pas une fin bâclée qui vient saborder une trame jusqu'ici joliment charpentée. La traque obstinée et le cœur en lambeaux de Nathan, dont la compagne japonaise est repartie avec leur gamin dans son pays d'origine, changent magnifiquement la donne.
Difficile, déjà, de ne pas s'attacher à ce projectionniste breton qui trouve dans les salles obscures de quoi revivifier son âme, lui qui a toujours eu "la sensation d'être une sorte de figurant dans le film de sa propre vie, de n'y tenir qu'un rôle secondaire ". Nathan n'a jamais rêvé d'être au premier plan, poursuit Olivier Adam, il vit plus dans le présent que dans le projet et tant pis si avec lui l'amour devient si friable. "Il devait y avoir quelque chose dans sa personnalité de vicieusement, mollement abrasif, qui suait les liens, patinait l'enthousiasme, rabotait l'élan"... Sauf qu'une force vitale le rattrape lorsque Jun, son épouse nippone dont il venait de se séparer, et Léo, leur gamin de 5 ans, prennent l'avion pour le Japon au terme d'une expédition soigneusement orchestrée. Nathan entreprend un premier voyage sur place, puis un second dès lors qu'un détective privé est parvenu à localiser l'enfant et sa mère.
La suite relèverait presque de Midnight Express version japonaise. Derrière des paysages idylliques, l'enfer, surtout dans un pays où la disparition volontaire relève du privilège national et où la garde partagée ne bénéficie d'aucune reconnaissance juridique. Destitué de sa parentalité, Nathan finit au poste pour harcèlement et tentative d'enlèvement, ce dont il ne s'est jamais rendu coupable. L'affaire Carlos Ghosn en avait donné une petite idée, le système judiciaire japonais, c'est tout un roman: la garde à vue sans cesse prolongée, une seule douche par semaine, un bol de riz et une tasse d'eau chaude comme seuls accompagnements... De quoi alléger bien des fantasmes sur l'Empire du Soleil levant.
On pourrait craindre une thèse au gros feutre sur l'enlèvement parental, mais la sensibilité de l'auteur, plus attentive aux désemparés qu'aux colériques, permet d'éviter cet écueil. Olivier Adam préfère citer Brel ("Tout peut s'oublier...", extrait de Ne me quitte pas) et Dominique A, ou alors parodier Duras ("Cette fois encore, il ne verrait rien à Hiroshima ") avec parfois une sorte de détachement qui ne dissipe pas son pouvoir d'émotion. Surtout lorsque Nathan fait trait d'union avec un autre chagrin filial, celui de Lise, elle aussi sans nouvelles de son fils ayant viré extrême-gauche dans une France toujours plus populiste et belliqueuse. Tout peut s'oublier, effectivement, telle une chanson des vieux amants offrant un peu d'espace pour cicatriser ce qui peut encore l'être.
Tout peut s'oublier, Olivier Adam (Flammarion)