Tournée
C'est sous l'influence croisée de John Cassavetes et de Jean-François Bizot que Mathieu Amalric s'est emparé du prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes. Un peu chère, la "Tournée"... surtout en présence d'un film à ce point traînassant et prétentieux. Cassavetes n'avait pas besoin de ficelles scénaristiques pour emballer son public.
De cette odyssée de stripteaseuses tendance callipyge échouées de port en port et qui ne verront jamais Paris ville-lumière, il aurait fait quelque chose de dantesque, un flux de fêlures, du live & dead en direct, et surtout, il ne serait pas encombré d'une intrigue à tiroirs... On se serait pris la vague et rien que la vague, alors qu'Amalric n'en reste qu'à l'écume, sans jamais aller au-delà de la vieille thématique des bonnes femmes qui s'éclatent avec leur corps mais qui, la nuit tombée, se retrouvent seules face à leur miroir...
La référence à Jean-François Bizot n'est pas moins saugrenue. Mathieu Amalric prétend s'être inspiré de l'ancien boss de Nova et de TSFJAZZ pour construire son personnage de producteur un peu raté qui ne trouve son oxygène que dans les paillettes de ses "show girls" tout en s'efforçant de résister, dans le même temps, au formatage généralisé... Belles intentions, sauf qu'on ne pense pas une seule fois, tout au long de cette interminable "tournée", au forban des ondes qu'était Bizot... A quelle utopie se rattache le producteur moustachu et un peu minable qu'Amalric incarne ? Qu'a-t-il de tornadesque et de démesuré lorsqu'on le voit en train de s'engueuler avec son associé ou lorsqu'il se retrouve à devoir gérer la garde de ses gosses tout en essayant de récupérer la salle qu'on lui avait promise pour qu'il puisse amener ses spice girls décaties dans la capitale ?
On l'aura compris : c'est le personnage masculin du film qui le fait tomber dans le précipice... C'est la mise en avant de son interprète, avec cette insupportable hypertrophie de l'égo que Cassavetes tout comme Bizot savaient transcender dans un grand collectif foutraque, qui met à mal les rares instants de grâce que l'on peut dénicher ici ou là (la scène de la station-service)... Et lorsque Mathieu Amalric se met à citer, dans un contexte tout autre, la fameuse rupture épistolaire entre François Truffaut et Jean-Luc Godard (quand l'un accusait l'autre d'avoir un "comportement de merde"), on touche alors le fond d'un auteurisme et d'un maniérisme qui font toujours illusion, malheureusement, chez une certaine critique made in France...
"Tournée", de Mathieu Amalric (Sortie en salles le 30 juin)