Tour du monde des terres françaises oubliées
Sans œillères ni frontières, on respire un sacré bol d'air en suivant Bruno Fuligni dans son tour du monde des terres françaises oubliées. Avec cette érudition et cette curiosité qui l'ont déjà amené à explorer les arcanes les plus insolites de l'histoire politique nationale, ce haut-fonctionnaire du Palais-Bourbon a recensé des contrées aussi lointaines que saugrenues où flotte encore le drapeau français. De quoi ressusciter un empire clandestin qui, en tout état de cause, ne réveillera aucun instinct décolonisateur vu que ces territoires n'ont jamais été colonisés en tant que tel.
Îlot inhabité, ersatz de banquise, enclave paumée... Ces "extensions inattendues" tutoient facilement le dérisoire. Le rêve prend le large, en même temps, à l'évocation de certains noms: Clipperton, Chesterfield, la terre Adélie... De quoi doubler, paraît-il, la superficie de l'hexagone tout en formant le 2e plus grand domaine maritime mondial après celui des Etats-Unis. Mais à l'esprit de conquête, Bruno Fuligni préfère l'esprit tout court. Il observe malicieusement que Clipperton a un code postal, mais aucune boîte aux lettres ni aucun facteur. Les îles Chesterfield furent, certes, le théâtre d'une rivalité nauséabonde entre la France et l'Angleterre, sauf que le nauséabond en question était lié surtout à l'extraction du guano, autrement dit ces crottes d'oiseaux qui constituaient, naguère, un engrais bien lucratif. Paris envoya même un percepteur se morfondre dans la taxation stercoraire. Le bonhomme et son épouse rembarquèrent trois mois à peine après leur arrivée.
Tout aussi croustillant, le sort de l'île Julia... Ce bout de terre volcanique devait ainsi émerger un jour de juin 1831 au large de la Sicile avant de s'enfoncer à nouveau sous les eaux quelques mois plus tard, engloutissant par la même occasion un éventuel contentieux franco-anglo-napolitain. Dans un registre moins "France intermittente", Bruno Fuligni évoque aussi ces terres tricolores situées en pleine Allemagne à partir du moment où le Rhin a changé de cours, ainsi que la savoureuse inscription "République française. Tombeau des rois" à l'entrée des trois sanctuaires hérités de la Croisade que notre pays possède encore à Jérusalem.
C'est une drôle de France qui se dessine là. Pas nationaliste pour un sou, exploratrice jusqu'aux limites du ridicule, parfois utopique dans son désir d'exporter le projet français au gré d'un improbable planisphère... Avec son trait de plume coloré et gorgé d'humour, Bruno Fuligni nous en fait goûter le suc exquis. C'est beaucoup moins amer que la sinistrose ambiante en ces temps de repli national.
Tour du monde des terres françaises oubliées, de Bruno Fuligni (Editions du Trésor). Coup de projecteur avec l'auteur, ce lundi 19 mai, sur TSFJAZZ (12h30)