Toscan
Il a mieux vieilli, finalement, que les émissions dans lesquelles on le voyait. Du milieu des années 90 jusqu'à sa disparition brutale, en 2003, à l'âge de 61 ans, Daniel Toscan du Plantier virevolte du côté de Marc-Olivier Fogiel, Paul Amar, ou encore sur les plateaux de Canal Plus période Jean-Marie Messier. Il joue au producteur beau-parleur, s'invente une mondanité un peu surfaite comme si c'était pour lui la seule manière de faire jeu égal avec l'hypertrophie de l'ego dont font preuve ses interlocuteurs. Ce n'est pas de la très bonne télé... On le voit bien, d'ailleurs, avec tous ces extraits d'interviews qui tourbillonnent dans le documentaire qu'Isabelle Partiot-Pieri, qui fut sa collaboratrice, consacre au dernier grand nabab du cinéma français.
Toscan par Toscan, donc... Aucun témoin, aucune interview : le producteur, pour ainsi dire, se raconte lui-même à travers un montage haletant qui pourrait rapidement saturer l'esprit si, subrepticement, un autre Toscan ne se dévoilait pas derrière le dandy un peu pédant que Les Inconnus vont brocarder sous les traits du fameux "Daniel Toscan Séplanté" rasant la terre entière avec ses films soi-disant "bouleversifiants"... L'autre Toscan, à vrai dire, avait au moins une chose en commun avec la caricature des Inconnus, à savoir, effectivement, un rapport à une certaine forme d'échec.
Car il y eut bien sûr des échecs, des bides... Produire Fellini, Bergman, Tarkovski, Rossellini, sans oublier quelques grands films d'opéra, ne vous donne pas forcément la même assurance-vie que le catalogue des "Bronzés". Il ne lui serait de toute façon jamais venu à l'esprit, à Daniel Toscan du Plantier, de produire une "Carmen 2" et une "Carmen 3" histoire de prolonger le succès du film de Francesco Rosi avec Julia Migenes-Johnson dans le rôle de la torride bohémienne...
Non, c'est une autre bohème, déjà, qui fait courir Toscan. L'homme est un artiste, un vrai, un esthète prêt à réinvestir le jackpot qui parfois lui sourit dans une énième aventure à hauts risques. Il y aura une palme d'or au bout... Maurice Pialat, le poing levé au milieu des sifflets, un soir de mai 87, lorsque "Sous le soleil de Satan" entre dans la légende... C'est le plus beau moment du documentaire, la partie Pialat, peut-être parce que c'est la plus aérée... On y voit Depardieu, l'ambiance du festival... A Cannes, de toute façon, Toscan est un peu comme chez lui, tout en étant mort de trouille. Il y éprouve, dira-t-il, le même plaisir que "le lapin le premier jour de la chasse", face à toute la critique internationale réunie dans une seule salle de cinéma.
Et puis il y aura d'autres échecs.Des drames, également... Un horrible fait divers à la fin, un cluedo irlandais glauque à souhait qui prend trop de place dans le docu sur le thème "Mais qui donc a tué Sophie Toscan Du Plantier ?" alors que jusque là, Toscan et les femmes, c'était de si belles conquêtes ayant pour noms Isabelle Huppert, Marie-Christine Barrault, Isabella Rossellini, Francesca Comencini... C'est ce Toscan séducteur, aux antipodes de toute vulgarité, gorgé de panache et en même temps indifférent aux mauvaises fortunes, un peu genre "aquaboniste", qu'on préfère retenir... Celui qui, lorsqu'on le titillait sur tout cet argent dilapidé dans des échecs commerciaux, rétorquait, scandaleusement et sublimement, que cela ne lui posait guère de problème, au final, à partir du moment où il avait conscience de produire un grand film. La leçon ne vaut peut-être pas seulement pour le cinéma.
"Toscan", un documentaire d'Isabelle Partiot-Pieri (sortie en salles le 1er décembre)