Samedi 27 septembre 2014 par Ralph Gambihler

The Tribe

À quoi tient la violence dans le Scarface de Brian De Palma ? A sa mitraillade de "Fuck", évidemment ! Ce n'est pas tant le sang qui dégouline mais le verbe. Coupez la chique à Al Pacino et il n'en reste plus grand chose. A contrario, pas un mot ne vient carburer le cauchemar de The Tribe, cet Orange Mécanique au pays des sourds-muets qui a cratérisé le dernier festival de Cannes jusqu'à recevoir le Grand Prix de la Semaine de la Critique.

Difficile, à vrai dire, de ressortir indemne de cette plongée dans un institut spécialisé livré à tous les vices (trafics, prostitution...) et dont le point d'orgue réside, justement, dans un massacre silencieux. Pas de cris ni de hurlements. Encore moins de musique d'ambiance pour faire monter la tension. Le gore, mais avec des boules Quiès... A l'instar d'un Michael Haneke qu'il dépasse en radicalité dés son premier film, le réalisateur ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy décortique cette violence intrinsèque au genre humain dans ce qu'elle a littéralement de plus indicible.

Et à fortiori de plus anxiogène. Nous sommes tout ouïe par rapport à ce qui se trame à l'écran. C'est un peu l'exploit de la mise en scène, ce silence "assourdissant". Dépouillé du moindre sous-titre qui l'aiderait à décrypter la langue des signes à laquelle ont recours les personnages, le spectateur comprend les grandes lignes du récit en se concentrant sur la bande-son du film -bruissement de feuilles, pas dans la neige, coups, gémissements- ainsi que sur la gestuelle des comédiens. Pari gagné, surtout lorsque Myroslav Slaboshpytskiy parvient à donner l'impression d'une assemblée encourageant de "vive voix" les deux camps lors d'une baston magnifiquement chorégraphiée aux abords d'un gymnase.

Voyage glauque en perspective ? Pas tant que ça, malgré une séquence d'avortement dont le cinéma de l'ancienne Europe de l'Est semble être coutumier (On se souvient de la palme d'or roumaine de l'an 87, 4 mois, 3 semaines, 2 jours)... Tourné dans un pays malade et gangréné de nihilisme à l'orée des événements de Maïdan, The Tribe est dans le même temps transcendé par un corps-à-corps sexuel sculpté de rage et de grâce. Comme pour mieux se détruire et se sauver dans le même élan.

The Tribe, Myroslav Slaboshpytskiy, Grand Prix de la Semaine de la Critique au festival de Cannes, sortie le 1er octobre. Coup de projecteur, le même jour (12h30), sur TsfJazz, avec le réalisateur au micro de Justine Martin.