The Fabelmans
Le cinéma comme art de dépasser les accidents de la vie. Et d'abord les accidents de train. Celui qu'un gamin de six ans découvre en format Scope dans Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B.DeMille prend d'emblée une valeur prophétique. Médusé, les yeux écarquillés, bouche bée au sens littéral du terme, l'enfant reçoit la scène pleine face avant de la reconstituer avec un petit train électrique et une caméra familiale. Une vocation est née. Steven Spielberg en déplie toutes les nuances dans un film autobiographique aussi euphorique que douloureux.
Euphorique quand le gamin devenu adolescent réalise ses premiers courts en débordant d'imagination artisanale: les deux sœurs transformées en momies avec du papier-toilette, les petits trous dans la bande pour qu'on ait l'impression de vrais tirs au pistolet... Douloureux lorsque le jeune apprenti-monteur découvre, à l'arrière-plan d'une séquence tournée lors d'un camping familial, les affinités secrètes entre sa mère et le meilleur ami de son père. La scène rappellera à certains l'engrenage rewind/replay mis en scène par Brian de Palma dans Blow Out. La façon dont Spielberg l'orchestre se situe dans une autre gamme: mezzo voce, tout en pudeur et avec la musique de Bach en renfort pour mieux signifier la fin d'un monde.
Le cinéma comme révélation et comme déflagration, donc, mais aussi telle une nécessité intime. C'est bien là le "moteur" de Sammy, ce Spielberg junior qui tente de trouver le film de sa propre vie au-delà du divorce de ses parents, des brimades antisémites lorsqu'il est à université et d'une éducation amoureuse qui le fait apparaître bien empoté, notamment au côté d'une bigote libertine. On se rappelle encore ce que disait l'actrice Margott Kidder (citée par Peter Biskind dans son livre sur le Nouvel Hollywood) au tout jeune Spielberg: "Ecoute, Steven, voilà ce que tu vas faire avec les filles: lis leur du Dylan Thomas, trouve autre chose que du coca à mettre dans ton frigo et ne dors pas avec tes chaussettes !"...
Cette sincérité du propos fait mouche. Elle s'accompagne d'une virtuosité narrative qui distingue nettement The Fabelmans du Amargeddon Time de James Gray même si les deux récits partagent la même tonalité autobiographique avec là aussi un foyer familial juif et une émancipation par l'art. Ample mais jamais ostentatoire, la mise en scène exhale le film-somme. Ce n'est pas le chef d'œuvre proclamé ici ou là. Cela tire parfois en longueur, plus rarement en lourdeur, surtout quand c'est trop léger. Et inversement. L'ultime séquence avec John Ford que Spielberg rencontre alors qu'il a 15 ans illustre justement la puissance dingue d'un moment souriant en apparence, et pourtant profondément évocateur: "Quand l’horizon est en haut, c’est intéressant. Quand il est en bas, c’est intéressant. Quand il est au milieu, c’est chiant à mourir! Pigé ?"... John Ford est joué par David Lynch.
The Fabelmans, Steven Spielberg (Sortie en salles ce mercredi 22 février)