Sur un mauvais adieu
Toujours à la fois dedans et dehors, l'ex-inspecteur Harry Bosch. Surtout depuis qu'il compense les affres de la retraite dans un bénévolat à mi-temps au commissariat de San Fernando, l'une de ces villes qui a la particularité, comme Santa Monica et Beverley Hills, d'être indépendante de Los Angeles tout en étant encerclée par la mégapole californienne. Bosch enclavé, donc... Tant mieux, il peut d'autant mieux rayonner sur les lieux de ses anciens exploits. Résultat: deux enquêtes parallèles que Michael Connelly a le tact de ne pas entrecroiser, comme pour mieux illustrer la veine proactive de son héros.
En tant qu'officier de réserve, Bosch tente déjà de mettre aux arrêts un "violeur à la moustiquaire" qui a l'air d'en savoir beaucoup sur l'environnement immédiat de ses victimes. Flairant non sans mal l'issue d'une telle affaire, l'ex-inspecteur n'en oublie pas moins son autre mission, à savoir cette chasse à l'héritier d'un milliardaire crépusculaire soucieux de transmettre sa fortune à qui de droit quand d'autres la convoitent avec plus ou moins de rapacité. "Je veux que vous retrouviez quelqu'un. Quelqu'un qui pourrait n'avoir jamais existé", lui balance le vieil homme.
Cela nous change des homicides sanglants, cette énigme à la Chandler ! Car c'est bien Bosch "le privé" qui est ici à l'œuvre, à l'instar de Philippe Marlowe dans le célèbre film d'Altman qui a tant influencé Connelly. On préfère, du coup, le titre original de ce nouvel opus (The Wrong Side Goodbye, en référence à The Long Goodbye), avec cette intro magnifique lorsque Bosch rend visite au magnat décati perclus de tics à la Howard Hugues. On se croirait dans le manoir Sternwood du Grand Sommeil... L'enquête, dés lors, devient une quête de soi. À la recherche d'un fils caché (et de ses possibles descendants) parti faire la guerre au Vietnam, Harry Bosch se laisse happer par ses propres souvenirs de "rat de tunnel" à la même époque dans la région de Củ Chi.
Pas étonnant qu'il soit devenu allergique à la bouffe asiatique. "On sent ce qu'on mange, explique-t-il à sa fille, ça vous sort par tous les pores. Je devais aller dans ces tunnels et je ne voulais pas que l'ennemi sache que j'y étais. Alors je bouffais leur nourriture tous les jours"... Et lorsque Bosch arpente un cimetière militaire, il observe que "des milliers de pierres de marbre blanc s'y dressent en d'impeccables rangées qui disent la précision militaire et le gâchis de la guerre". Mélancolique et poignant, le récit s'attarde également, dans le prolongement de Mariachi Plaza, sur la communauté mexicaine établie aux Etats-Unis. Beau bol d'air dans l'Amérique de Trump, surtout quand l'auteur, qui n'a rien perdu de sa connexion avec le jazz contemporain, cite Litany Against Fair, de Christian Scott.
Sur un mauvais adieu, Michael Connelly (Éditions Calmann-Levy)