Squid Game
Vous avez aimé Singing in the Rain dans Orange Mécanique, vous adorerez Fly me to the Moon dans Squid Game. Même contraste entre l'horreur d'une situation -des endettés meurent en jouant à 1,2,3, soleil- et le nirvana jazzy dont s'entoure, whisky à la main, l'un des organisateurs du rituel macabre en observant la scène. Le recours au Beau Danube Bleu relève des mêmes joyeusetés dissonantes (le fameux effet "anempathique" relevé par le théoricien de la B.O Michel Chion) dans cette série sud-coréenne qui cartonne sur Netflix pour le meilleur... et peut-être aussi, d'après certains, pour le pire.
Le meilleur, c'est qu'on se laisse "prendre au jeu" dans tous les sens du terme. Dans Squid Game signé Hwang Dong-hyuk, réalisateur qu'on imagine autant fan de Parasite que des Chasses du Comte Zaroff, des loosers au bout du rouleau retrouvent l'ambiance de leurs préaux d'école dans une île perdue, sauf que les jeux auxquels ils participent obéissent à une autre logique dont ils n'ont pas été avertis au départ: quand les gagnants se rapprochent d'un gros jackpot, les perdants, eux, sont froidement abattus par des surveillants masqués sous le regard de quelques "VIP" fortunés et en mal de voyeurisme.
Avec son esthétique qui exploite de façon inventive les formes colorées et familières (rond, triangle, carré...) propres à l'univers enfantin, ce procès en voyeurisme peut nous inclure. Mourir n'est pas un jeu d'enfant, entend-t-on ainsi ici et là au regard du phénomène commercial et sociétal qui entoure la série. Rien de neuf sous 1,2,3, soleil, serait-on tenté de répondre... Comme le rappelle le journaliste au Monde Thomas Sotinel au micro de TSFJAZZ, on pouvait faire le même procès à La Guerre des Boutons et au vu du récent ramdam autour du hashtag #Anti2010, on ne voit pas trop en quoi cette série interdite aux moins de 16 ans transformerait radicalement l'ambiance dans certaines cours de récré.
On peut aussi observer que ce ne sont pas forcément les compétiteurs les plus cyniques qui survivent... Squid Game prend d'ailleurs le temps -et ce n'est pas la moindre de ses qualités- de faire confiance à ses personnages en les dessinant avec finesse sans pour autant s'encombrer de retours en arrière. Ils existent à l'écran avant même qu'un prénom ne leur soit donné, et dans une perspective qui dépasse le simple cadre national puisqu'on fait connaissance dans cette aventure avec Ali, un immigré pakistanais maltraité par son patron, ou encore Sae-byoek, une jeune transfuge nord-coréenne.
Redoutablement évocatrice d'un certain climax capitaliste sud-coréen (surendettement, poids de la pression matérielle, lutte des classes...), la série comporte certes quelques imperfections: contrairement à l'enquête du jeune flic qui essaie de remonter aux racines du mal, la sous-intrigue sur le trafic d'organe ne trouve pas vraiment sa place. D'autres sillons sont peu creusés ou alors caricaturaux, notamment par rapport aux VIP. Quant aux jeux en question, ils ne présentent pas tous le même degré d'intérêt, surtout les deux derniers... Hwang Dong-hyuk nous bluffe en même temps par ses trouvailles de mise en scène, ses références picturales (Le Cri de Munch, notamment...), sa virtuosité narrative et l'ancrage de son propos dans la société coréenne à l'image d'un dernier épisode riche en rebondissements et en perspectives.
Squid Game (Saison 1, 9 épisodes), Hwang Dong-hyuk, actuellement sur Netflix. (Coup de projecteur avec le journaliste Thomas Sotinel, jeudi 14 octobre, sur TSFJAZZ (13h30)