Seven Seas
Marcher pas à pas sur le sable, s'éloigner de la plage, sentir l'eau qui vous monte jusqu'en haut du corps et soudain, s'élancer vers le large, s'apercevoir qu'on n' a plus pied, qu'il n'y a que vous, le soleil et la mer. Voilà ce que l'on ressent dans les grandes brassées de "Seven Seas", le 12ème album du contrebassiste, chanteur, compositeur et arrangeur Avishai Cohen.
Mauvais courants s'abstenir, évidemment. Mais bon, on va dire qu'en Méditerranée, d'où émerge notre musicos israëlien préféré, le risque est moindre. A vrai dire, "Seven Seas" s'entend comme son disque le plus aventureux. Moins flamboyant, peut-être, que l'avant-dernier opus, "Aurora", mais en même temps plus fluide, plus riche dans les tons et les couleurs. La voix ne tient plus forcément le premier rôle, excepté dans l'ultime et poignant "Tres Hermanicas Eran" qui conclut le disque sur une note ladino comme Avishai Cohen les affectionne tant...
Dans les autres morceaux, en revanche, le chant paraît moins collé à la tessiture de la contrebasse et plus au diapason des autres parties instrumentales qui s'en trouvent singulièrement aérées... De quoi donner de beaux espaces à Shai Maestro, Amos Hoffman et Itamar Doari qui s'éclatent respectivement au piano, à l'oud et aux percussions. Et puis il y a les cuivres qu'on n'attendait pas à pareille enseigne... Leur contribution n'a rien d'assourdissant. Ils tiendraient plutôt la place des choeurs dans le théâtre antique. Ce sont des voix, comme celle d'Avishai Cohen. On retiendra notamment le timbre du cor anglais dans "Hayo Hayta", magistrale tentation symphonique, ou encore le bugle de "Work Song" qui accompagne sur le mode berceuse les hommes qui travaillent dans les champs (rien à voir évidemment avec le roboratif standard de Nat Adderley), sans oublier le joyeux feu d'artifice à la fin d' "Halah", sans doute le titre le plus mélodique de l'album.
La contrebasse, quant à elle, fait encore des folies, notamment sur le titre éponyme du disque, tandis qu'un morceau comme "Hayo Hayta" baigne dans une ambiance festive particulièrement entraînante... Au final, c'est le travail du compositeur qui met par terre... Où va t-il chercher toutes ces architectures sonores ? Comment parvient-il, surtout, à rendre l'exigence musicale qui est la sienne compatible avec ce profond sentiment de communion qui imprègne "Seven Seas" et qui suggère déjà on ne sait quelles transcendances scéniques lorsqu'Avishai Cohen volera de concert en concert ?
En peine de réponses probantes, un magazine spécialisé, du fin fond de ses oeillères, a relégué avec mépris l'ancien sideman de Chick Corea dans une obscure rubrique "World Jazz" !!!! Le contrebassiste-chanteur n'y est d'ailleurs pas en si mauvaise compagnie puisqu'un certain John Zorn subit également le même sort... Mais World Jazz, au fait, ça ne veut pas aussi dire jazz ouvert sur le monde ?
"Seven Seas", d'Avishai Cohen (Blue Note)