Sarah, Susanne et l'écrivain
Le lecteur se sent très vite en bonne compagnie. Voici Éric Reinhardt, admiré par une toute nouvelle clientèle depuis le succès de L'Amour et les forêts et son adaptation sur grand écran. À ses côtés, Sarah et Susanne, la seconde étant l'avatar romanesque de la première sous la plume de l'écrivain. Les deux femmes, celle qui se confie et son double fictionnel, ne peuvent susciter qu'empathie et émotion. Mariée depuis vingt ans et à peine remise d'un cancer, Sarah, alias Susanne, affronte une double frustration: son couple s'enlise et son conjoint détient 75% de la maison qu'elle habite. Voulant rompre avec cet état de fait, elle tombe en enfer.
Rien n'est laissé au hasard dans l'atelier d'écriture que propose le romancier car même si Susanne est censée être la copie de Sarah, leurs profils ne sont pas toujours similaires. Reinhardt passe parfois de l'une à l'autre sans crier gare, jouant sur la ponctuation sans jamais toutefois perdre son lecteur. Il va même jusqu'à entremêler les jeux de miroirs entre ses deux personnages féminins avec les propres souvenirs de l'écrivain lui-même tout en offrant de savants développements autour d'un mystérieux tableau représentant deux religieuses dans un couvent.
Pour le reste, et en matière de troublantes gémellités, on en restera à Mulholland Drive et La Femme aux deux visages. Voilà certes un roman sensible, fin, habile, intime, féministe et arty. Un vrai roman classes moyennes en somme, naturellement goncourable avec une mise en abyme comme il faut, une ode irrésistible aux épouses bafouées et une élégance d'écriture incontestable, notamment lorsque l'auteur se décrit comme un "heureux psychopathe du scopique "... Rien à voir cependant avec le souffle de certaines œuvres passées du même auteur comme Cendrillon et Le Système Victoria. Peut-être ne faut-il plus trop en demander à Éric Reinhardt maintenant qu'il a trouvé le bon filon.
Sarah, Susanne et l'écrivain, Éric Reinhardt (Gallimard)