Samedi 15 octobre 2022 par Ralph Gambihler

R.M.N.

Palme d'or à Cannes en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, récit d'un avortement clandestin, le réalisateur roumain Cristian Mungiu avait déçu par la suite, aussi bien à travers le plombant Au-delà des collines qu'avec l'asphyxiant Baccalauréat. Retour d'intensité, ici, sous forme de radioscopie (R.M.N étant l'acronyme roumain d'I.R.M) d'un village de Transylvanie en pleine errance xénophobe, errance à laquelle font écho les tourments de l'un de ses habitants, Mathias, un homme un peu frustre, déboussolé et perclus de désamour.

De l'épreuve sentimentale à la gangrène collective, et du microlocal à la métaphore d'une Europe en complète perte de repères, Mungiu varie les échelles avec efficacité. Il met aussi en lumière une situation qui, dans son entrelac d'aliénations, suspend tout surplomb moralisateur. Ainsi en va-t-il de ce village-mosaïque où les plus racistes ne sont pas forcément les Roumains "de souche". Mêmes pointillés autour du lieu-poudrière du film, une boulangerie industrielle qui recrute d'urgence des Sri Lankais pour pouvoir toucher des subventions européennes. Bel élan d'ouverture, certes, mais pour quels salaires et conditions de travail ? Faut-il vraiment s'étonner de voir les habitants du cru refuser d'être exploités de la sorte ?

Rien n'est simple décidément, surtout quand on a été l'amant, comme c'est le cas de Mathias, de l'une des deux gérantes de la boulangerie, désormais émancipée de toute dépendance et de préjugés racistes. Puissamment ramifié en différents rameaux narratifs, R.M.N met aussi l'accent sur le trauma d'un jeune garçon qu'une vision macabre en pleine forêt a rendu muet. Est-ce la peur des ours qui le rend désormais silencieux, ou pire encore ? Touffu à souhait, le film s'offre une mise en scène au diapason de ses ambitions: couleurs sombres, naturalisme aux versants mystiques...

Dommage que Mungiu en prolonge l'esprit à travers une conclusion poético-animalière pas aussi opérationnelle qu'on l'espérait. Le réalisateur est bien plus au sommet de son art lors d'un fameux plan-séquence d'une vingtaine de minutes faisant office de catharsis pour l'ensemble des personnages. Lors d'un conseil municipal, chacun vide son sac. C'est à la fois embrouillé et bouillonnant, et surtout magistralement polyphonique, avec une caméra posée exactement là où il faut pour enregistrer à la fois les cicatrices d'une tension amoureuse et les vertus d'une agora.

Que les bouches s'ouvrent et les cœurs s'épanchent, semble vouloir nous dire Cristian Mungiu alors même que Mathias, à défaut d'être vraiment immunisé contre tous les vieux démons qui l'entourent, apprend au moins à douter. Sans préjuger de l'efficacité de tels mots d'ordre au regard d'une intolérance qui gagne chaque jour du terrain, et cela bien au-delà de la Roumanie, on sait au moins qu'un enfant muet peut ainsi retrouver l'usage de la parole.

R.M.N., Cristian Mungiu, sélection officielle au festival de Cannes, sortie en salles ce mercredi 19 octobre. Coup de projecteur avec le réalisateur, la veille, sur TSFJAZZ (13h30)