Jeudi 7 juillet 2022 par Ralph Gambihler

Retour à Chantilly

On a revu Melody Gardot, mais à Montreux. C'était moins champêtre que l'autre dimanche au fil de l'Oise, mais la grande classe était toujours au rendez-vous. C'est quand Gregory Porter lui a succédé sur scène pour un show bien rodé mais sans surprise que la tête un peu ailleurs, nous sont revenus toute la magie, tous les inattendus et les toutes les émotions du TSFJAZZ Chantilly Festival, le premier organisé par notre radio.

Dans un écrin verdoyant et ensoleillé, près d'un miroir d'eau reflétant le château du Parc de Chantilly dressé à côté du site, 5000 visiteurs ont applaudi plus d'une quinzaine d'artistes et de formations. Beaucoup d'auditeurs parmi eux. Ils ont enfin mis des visages sur les noms. Ils ont afflué lorsque les musiciens, enfin accessibles pour une fois au commun des mortels, signaient leur disque après le concert. Comment oublier cette grappe de jazzfans en culottes courtes agglutinés autour de Michel Portal avant de lâcher: "Merci, monsieur Michel !"

Le légendaire clarinettiste a aussi rencontré une abeille. Elle a mis un peu d'animation à l'un de ses solos. Un peu plus tôt, c'est un essaim de guêpes qui tenait la vedette près des loges des artistes. Bref, ça swinguait de partout. Malgré les grèves, Kenny Garrett a réussi à prendre l'avion, ce qui lui a permis de faire décoller son public avec sa musique gorgée de groove. Les trains ont eu aussi quelquefois un peu de mal à partir (et à repartir...) à l'heure, mais sans rien gâcher heureusement des réjouissances.

C'était notre premier festival. On a essuyé les plâtres mais d'après certains professionnels, ce qui est sorti de terre avec le renfort si précieux des équipes du Duc des Lombards, des régisseurs, techniciens, prestataires, sans oublier bien sûr nos 130 bénévoles, n'aura pas démérité au regard de festivals ayant déjà trois ou quatre ans de plus que nous... La TSFJAZZ Team a dû elle-même se reconvertir de manière surprenante: quelques coups de perceuse pour fixer une expo photo, un planning billetterie,la grande sarabande des chaises à installer et à réinstaller, une logistique vibrionnante tout en assurant le direct à l'antenne... Sacré challenge !

Peut-être étions-nous aussi portés par ce qui se passait sur scène. Outre Melody Gardot, Michel Portal et Kenny Garrett, Ibrahim Maalouf et ses mélodies reconfigurées en duo avec le guitariste François Delporte ont fait jaillir un moment tout en convivialité, un concert comme une conversation... Cyrille Aimée a chanté comme elle pétille. Le BigIn Jazz Collective, qui rassemble la crème du nouveau jazz caribéen, a confirmé qu'il était le groupe le plus fou du moment. Il y eut aussi une triade pianissimo : concernant un standard comme Autumn Leaves, il y aura un avant et un après Emmet Cohen. Si fragile lors de son arrivée sur scène, George Cables a réveillé les fantômes des plus puissants harboppers en reprenant le Speak No Evil de Wayne Shorter. En ouverture, enfin, et dans une ambiance de cérémonie magique, Abdullah Ibrahim, 87 ans, rendait déjà cette première édition inoubliable, ce qui mérite bien un paragraphe de plus.

On n'entendait pas une mouche voler. Dans le cadre rougeoyant du Dôme des Écuries, en solo, et parfois en silence mais toujours en ensorcellements, une légende du piano jazz nous faisait vivre un moment emprunt de recueillement, d'introspection et d'émotion. On imaginait déjà ce qu'Abdullah Ibrahim avait vécu depuis Capetown jusqu'à l'exil, jusqu'à Duke Ellington qui l'adoubera aux États-Unis, et cela suffisait à nous remuer. Et puis cette main gauche... Ces couleurs, ces mélodies, tout ce qui ressort des racines spirituelles de la note bleue. Plénitude et sérénité se donnaient la main ce soir-là autour de ce que le maëstro sud-africain appelle lui-même la matière vibrante du jazz. Le prochain TSFJAZZ Chantilly Festival aura lieu les 30 juin, 1er et 2 juillet 2023.

TSFJAZZ Chantilly Festival, première édition. C'était les 1er, 2 et 3 juillet dernier.