Récidive. 1938.
L'analogie n'est pas une ressemblance, Emmanuel Macron n'a pas le même parcours qu'Édouard Daladier, et les gilets jaunes n'ont que peu à voir avec l'esprit du Front populaire. C'est bien parce que Michaël Fœssel est vacciné contre tout anachronisme que son voyage dans le temps de Michaël Fœssel fascine et stimule. Non pas sur le thème éculé du "retour" -ou de la répétition- des années trente, mais plutôt sur le mode résonance, d'une période à l'autre. Les années trente ne nous guettent pas, effectivement, mais elles n'en finissent pas de nous parler.
Surtout lorsque les manières d'interpréter les événements se font écho à huit décennies d'intervalle. 1938 s'avère, à-ce-propos, un sacré champ d'exploration pour le philosophe qui opère ici en Candide et revendique, tel Aristote, l'étonnement comme vecteur de réflexion. De l'Anschluss à Munich, en passant par la chute du Front populaire, Michaël Fossel va ainsi de surprise en surprise. Faiblesse des démocraties face au totalitarisme menaçant ? De ce lieu commun, 1938 fait table rase. Peu de palabres parlementaires, cette année-là. Les décrets-lois, en revanche, tombent en rafale. Il s'agit d'en finir avec prétendue gabegie. La France doit se remettre au travail, et les Juifs n'ont qu'a bien se tenir. Notre pays ne peut quand même pas accueillir "toute la misère du monde" !
La France de 1938, dés lors, apparaît moins d'après l'auteur comme une démocratie faible qu'un régime "faiblement démocratique". La haine antisémite infuse la presse d'extrême-droite, le dépit bourgeois prospère sur fond de virage autoritaire et de répression du mouvement social, et au Congrès du Parti radical, Édouard Daladier, l'homme fort de cette période, affirme que "la classe ouvrière, depuis 1936, s'est trop installée dans les loisirs". Vichy ne lui fera pas de cadeau, à Daladier. En attendant, il ne jure plus que par "la loi vitale de l'effort", deux ans avant Pétain fulminant contre "l'esprit de jouissance"...
D'autres échos, encore... Comme en 2018-2019, on éditorialise en apesanteur sur les réalités économiques sans intégrer la grave crise financière intervenue dix ans auparavant. Des vieux manifestent pour leur retraite, on les considère comme la lie de la Nation. Mieux encore, un incendie à Marseille devient le théâtre d'une polémique nationale, et il est déjà question de "fake news" sur l'état réel de la menace nazie. Le journaliste et député conservateur anti-munichois Henri de Kérillis résume cela à sa manière: "On nous accable de démentis faux et de fausses nouvelles vraies"...
De Kerillis, mais aussi l'écrivain Georges Bernanos, le socialiste Léon Blum, le communiste Gabriel Péri... L'auteur se raccroche à ces noms, de droite comme de gauche, et à leurs mises en garde, comme quoi rien n'était écrit d'avance, car si 1938 est une ombre ou un spectre, il y eut aussi cette année-là des veilleurs et des sentinelles. Aujourd'hui encore, et peut-être plus que jamais, nous en avons besoin.
Récidive 1938, Michaël Fœssel (Presses Universitaires de France). Coup de projecteur avec l'auteur, sur TSFJAZZ, le jeudi 6 juin (13h30)