Mardi 25 septembre 2012 par Ralph Gambihler

Réanimation

Elle grille cigarette sur cigarette, sirote son gin et redécouvre Blanche-Neige et la Belle au Bois Dormant. Ainsi se propulse-t-elle dans le "décousu des heures" alors que son amour aux 50 printemps, Blaise, est allongé comme un "gisant de catacombes" au service réanimation de Lariboisière suite à une infection au nom barbare qui lui a dévoré les tissus du cou.

Avec "Réanimation", Cécile Guilbert, essayiste de renom depuis le succès de sa biographie sur Andy Warhol, transforme la "canonnade" qui l'a frappée en kaléidoscope d'émotions et de sensations aussi vivifiantes que les couleurs du Pop Art...  Peut-être est-ce la perspective (jamais assurée, cependant...) d'un dénouement heureux qui lui donne cette force. Ou alors la conviction, rapidement acquise, qu'il y a du romanesque, du littéraire et de jolies occurrences méditatives dans cette expérience de l'absence et de l'hôpital "mi-baleine, mi-requin" si crispante de prime abord. Peut-être que la force vient également de la certitude qu'après pareille épreuve, l'amour pour son homme n'en sera que plus décuplé.

D'où cette impression d'un récit éperdument flamboyant ayant recours aux sortilèges de la plume pour à la fois réchauffer l'âme et mettre le malheur à distance. Ne pas perdre le sommeil, surtout. Se promener, batifoler, veiller sans cesse à se "ré-animer" puisque l'autre moitié de soi-même est aussi en réanimation. Trajectoire fascinante... Celle d'une "pucelle du stress hospitalier" qui s'entoure de "vanités" (un crâne humain, par exemple...) comme pour mieux se retrancher dans "un angle mort du social" interdit au commun des mortels et qui lui ouvre, peu à peu, des "dimensions insoupçonnées, vastes comme la mer et luxurieuses comme l'opium".

Des souvenirs personnels surgissent au fil des pages, comme l'écho hivernal d'un autre service de réanimation. Comment se fait-il que je m'y plonge avec une telle délectation alors que mon récit à moi, contrairement à celui de Cécile Guilbert, s'est achevé au cimetière ? Est-ce les mots qui, encore une fois, font  sortilège, ou alors le constat à la fois triste et joyeux que la loi du "ici et maintenant" a toujours le dernier mot et qu'on se retrouve à son tour -trop vite, peut-être- rattrapé par les vivants ?

"Réanimation", de Cécile Guilbert (Grasset) Coup de projecteur avec l'auteur, vendredi 28 septembre, sur TsfJazz (7h30, 11h30, 16h30)