Mardi 2 septembre 2014 par Ralph Gambihler

Quiconque exerce ce métier stupide...

Personnages en quête d'auteur et d'épopée. Christophe Donner n'a pourtant guère rechigné dans le pittoresque pour évoquer le trio qui, vers la fin des années 60, voulait chambouler le cinéma français: Jean-Pierre Rassam, Claude Berri, Maurice Pialat... La soeur du premier épouse le deuxième, lequel se fait subtiliser sa propre frangine par le troisième. Pas sûr que cela suffise à expliquer le côté beauf de l'entreprise. On est en effet, d'un bout à l'autre du récit, constamment dans la caricature. En producteur mégalo (sexe, drogue, alcool et parties de poker...) et créatif sur le plan artistique, Jean-Pierre Rassam apparait comme un sous-produit du "Nouvel Hollywood" exporté sur le sol gaulois, la mythologie en moins.

Claude Berri se la joue humble, sensible, compassionnel. Un peu rabougri, également, comme le roman. Malgré le succès du Vieil Homme et l'Enfant, il va se planter dans une série de petits films familiaux ringardisés d'entrée de jeu avant de coproduire Les Charlots. Le roman s'attarde aussi sur ses racines juives. Folklore à peu de frais.

Maurice Pialat, enfin, n'échappe pas à son éternelle image de bougon tandis que Jean-Luc Godard, incontournable guest star de ce tableau d'époque, se retrouve lui aussi réduit à sa réputation de cinéaste-star d'autant plus adulé par l'intelligentisa qu'elle ne comprend rien à ses films. Alors évidemment, tout cela se laisse lire (mais n'est-ce pas le pire qui peut arriver à un romancier, de se "laisser lire" ?") parce que la période évoquée est passionnante à plus d'un titre. On trouve d'ailleurs quelques passages savoureux, autour de Godard, justement... Son numéro à Cannes, en mai 68 -c'est là où Orson Welles lâche la fameuse phrase qui donne son titre au roman- ou encore son périple chez les Palestiniens au côté de Rassam.

Mais à côté, combien de faux-plats dépourvus d'émotion, de souffle, de saveur, le pompon survenant avec le fameux voyage à Prague (Jean-Pierre Rassam et Claude Berri y récupèrent les enfants de Milos Forman en pleine invasion soviétique...) qui donne droit, au passage, à une remarque bien injuste à l'endroit de François Truffaut. Vers la fin, le récit cavale à toute vitesse. On apprend, au détour de deux lignes, que Rassam a produit La Maman et la Putain, de Jean Eustache. Pas un mot, également, sur Carole Bouquet, dernière compagne du producteur disparu. L'inachevé côtoie le gâchis. C'était pourtant, à mes yeux de lecteur-cinéphile, l'un des romans les plus attendus de la rentrée.

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, Christophe Donner (Grasset)