Qui a tué mon père
Il ne s'est pas foulé, le jeunot ! Au motif que son texte aurait une portée plus théâtrale que romanesque, Édouard Louis livre un 3e opus rachitique d'à peine plus de 80 pages, frustrant par la force des choses et ressassant une pensée qui n'avance plus, sauf lorsqu'elle entend préparer le terrain à un propos pamphlétaire qui ne se dévoile que dans les dernières pages.
Retour au père, donc... L'affreux alcoolo lepéniste et homophobe d'En finir avec Eddy Bellegueule s'est métamorphosé, ici, en martyr de la classe ouvrière. Après le parricide, Zola... Le misérabilisme estampillé 2018 s'avère à vrai dire aussi peu dérangeant qu'autrefois l'exotisme du glauque pour bobos bien-pensants. On se permettra juste de regretter l'espace diaboliquement faulknérien qu'avait ouvert Histoire de la violence, le deuxième roman d'Édouard Louis, bien plus âpre et protéiforme dans l'enchevêtrement insidieux des logiques de domination, qu'elles soient d'ordre social, sexuel ou racial.
La densité stylistique, ici, revient au point mort, ou presque. Une succession de vignettes visant à exposer un malentendu filial: papa aimait beaucoup danser autrefois, mais il rechigne face à mes chorégraphies par trop androgynes. Il est très violent avec maman, mais il a un cœur d'or, se ruinant provisoirement pour m'offrir le coffret Titanic dont je rêvais pour Noël. Certains passages prennent plus de résonance. L'échange autour du Mur de Berlin, par exemple, le paternel se révélant incapable de transmettre à son fils ce que cela recouvrait comme réalité : «Tu avais honte parce que je te confrontais à la culture scolaire, celle qui t’avait exclu, qui n’avait pas voulu de toi.»
D'autres moments embarrassent d'avantage : le dos broyé par un accident du travail, immobilisé dans son lit, le père s'ennuie. "Même dans les camps de concentration, on pouvait s'ennuyer", écrit Edouard Louis... Ça y est, on sent que le climax politique tant attendu va enfin survenir. Et l'auteur d'égrener une série de mesures anti-sociales prises par nos présidents successifs et leurs conséquences dans le quotidien de ceux qui souffrent. Là encore, tout n'est pas à rejeter ("Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question 'esthétique': une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. pour nous, c'était vivre ou mourir."), mais une pensée aussi binaire fatigue, à la fin.
Le fait est qu'Édouard Louis ne paraît plus vouloir trôner désormais qu'au conseil d'administration de l'anti-macronisme et des manifs pot-au-feu. On remarquera, au passage, que son bréviaire de bonne conscience ne situe absolument pas la spécificité de l'actuel président et qu'on n'est pas certain de saisir sa pensée lorsqu'après avoir injecté dans sa prose indignée les mots "Chirac", "Sarkozy", "Hollande" et "Macron", il écrit: "Les noms que je prononce depuis tout à l'heure, peut-être que ceux qui les liront ou les entendront ne les connaissent pas" (!!!). Ceci mis à part, on comprend bien pourquoi il n'y a pas de point d'interrogation dans le titre du roman. À ce point affirmative et dénuée du moindre doute, la charge manque évidemment son but.
Qui a tué mon père, Édouard Louis (Le Seuil)