P'tit Quinquin
Lancer de crabes en plein restau. Alors que, sous le regard de son associé, Carpentier, le commandant Van Der Weyden s'efforce de résister aux pressions du procureur qui aimerait bien que l'enquête avance, un jeune demeuré balance à tout va des assiettes de crustacé sous le regard gêné de ses parents et de la serveuse. Ecrit ainsi, ce n'est pas très drôle. Sur le plateau de tournage, ajoute Bruno Dumont au micro de TSFJAZZ, ça n'était pas non plus l'hilarité générale. Seulement voilà, par la grâce du montage et de l'art du contre-champ, une symphonique carnavalesque de bruits et de dialogues ubuesques transforme la séquence en épiphanie hilarante.
Pour son triple premier coup d'essai dans le burlesque, le polar et la mini-série en format télévisé, Bruno Dumont nous fait donc le coup du bressonien qui se marre, et c'est énorme dans tous les sens du terme. A commencer par la situation de départ: ces corps décapités et farcis dans une panse de vache, ce drôle de Columbo en pays ch'ti (Bernard Pruvost, mix improbable de Jacques Tati et de Michel Simon), ces enterrements qui dégénèrent en fou-rire...
On pense à Jean-Pierre Mocky et aux Monty Python. Au Maurice Pialat de La Maison des Bois également, puisqu'il est aussi question, dans P'tit Quinquin, d'une bande de mômes à l'affût du serial-killer. Des vauriens, certes, ce qui n'exclut pas une tendre histoire d'amour au sein du groupe... On ne perd pas au change, en même temps, par rapport aux thématiques chères à Bruno Dumont. Ici encore, il est question de l'origine du mal, sauf que la forme s'inscrit désormais dans le tragi-comique. "Du sang dans la vache, c'est la Bête Humaine, mon commandant", s'essaie l'adjoint consciencieux. "On n'est pas là pour philosopher, Carpentier», lui rétorque son supérieur... Plus loin dans le récit, le commandant, ou plutôt l'acteur qui joue le rôle, glisse sur le mot "shoah" et dit "shoiah" à la place. Dumont laisse le lapsus au montage. Quand on vous dit que c'est avec du pas drôle du tout qu'on crée le drôle...
Du drôle, mais aussi du poétique. Il n'y a que la caméra de Bruno Dumont pour savoir embellir un gamin aux oreilles décollées et à la gueule de travers, pour transformer toutes ces gueules cassées en caractères racés (c'est aussi la marque de fabrique du cinéaste: le recours à des acteurs non-professionnels...) et pour offrir l'ampleur du cinémascope à cet arrière-pays boulonnais qui en temps ordinaire n'intéresse personne... Autre coup d'éclat, l'irruption d'une figure christique à travers la silhouette d'un jeune Noir musulman réveillant, jusqu'au drame, les vieilles pulsions identitaires du village. Le farfelu et le macabre convolent ainsi en noces rouges avec pour témoins de mariage la tendresse de regard d'un cinéaste et sa liberté toujours plus impétueuse. De quoi faire, peut-être, d'une série télé le meilleur film français de l'année.
P'tit Quinquin, Bruno Dumont (Diffusion les 18 et 25 septembre sur Arte, à 20h50). Coup de projecteur, le même jour, sur TSFJAZZ (12h30) avec Bruno Dumont.