Première campagne
Le journalisme politique à visage humain existe. Il a les traits radieux d'Astrid Mezmorian, fraîche diplômée embarquée dans la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron qu'elle a couverte pour France 2. Toujours aimable mais ne s'en laissant pas compter, l'honnêteté et la pugnacité dont cette consœur fait preuve dans sa tâche dézingue avec brio toute une rhétorique moisie sur les journalistes qui seraient tous à la solde du pouvoir, manipulateurs et déconnectés du réel.
Car notre Astrid, du moins telle qu'elle exulte devant la caméra d'Audrey Gordon, sa copine documentariste de Sciences-Po, ne se montre jamais dupe des cartes postales à selfies dont la Macronie fut déjà si prodigue au printemps 2017, genre week-end en ski bras dessus bras dessous avec "Brigitte". Elle n'est pas moins lucide sur la machinerie d'un média mainstream, l'alibi de l'urgence pour ne jamais s'offrir le moindre décalage, ou encore les angles tirés par les cheveux pour rentrer dans un certain moule. Il lui faut pourtant garder son sang-froid, y compris lorsqu'on lui demande à l'arraché un bon petit micro trot' avec des électeurs de Hamon à un meeting de Macron...
Bien sûr qu'on la rêverait plus subversive, moins disciplinée sous les desiderata de velours de sa chef de service, Nathalie Saint-Cricq, dont la suffisance coutumière -du moins telle qu'elle transparaît sur le petit écran- est inopinément mise sous le boisseau le temps de ce documentaire. Bien sûr qu'on la rêverait plus consciente des présupposés de sa hiérarchie, sauf qu'Astrid Mezmorian, visiblement, n'a ni le temps, ni l'envie de questionner sa marge d'autonomie. Comme si seule comptait l'adrénaline et le mythe de la "journaliste de terrain".
Pas de super-héros à la Ruffin, donc, dans cette Première campagne. Juste une jeune professionnelle à la fois humaine et distante, avec ses qualités et ses fragilités, contrainte de réviser quelques fiches sur la "cristallisation" façon Stendhal pour ne pas être ridicule devant le candidat... et habile à déplacer vers elle le regard du spectateur. Car de Macron lui-même on n'apprend pas grand chose dans ce documentaire. Astrid, en revanche, entretient le mystère. Est-elle aussi anti-macronienne que son papa, ou alors séduite (peut-être à son insu) par le futur Jupiter ? Avec tact et pudeur, Audrey Gordon ménage les interstices. C'est à cela qu'on reconnaît les grandes documentaristes.
Première campagne, Audrey Gordon (Sortie en salles ce mercredi)