Polémique sur Allen Toussaint
Pour la première fois de son histoire, l'Académie du Jazz a remis le prix du meilleur album de l'année à un non-jazzman, et apparemment elle ne s'en remet pas... C'est même toute une frange non négligeable du "milieu", l'honorable Philippe Baudoin en tête, qui mène désormais campagne contre Allen Toussaint et son magnifique "Bright Mississippi", consacré par TSFJAZZ comme disque de l'année et dont ce blog, au printemps dernier, rendait également compte dans l'allégresse...
Navrante, la polémique ? Non, plutôt stimulante... La chronologie de la note bleue, comme d'ailleurs celle d'autres arts, s'est toujours enrichie de ces batailles d'Hernani qui définissent mieux qu'autre chose une époque et les enjeux qui la traversent... La nôtre, d'ailleurs, souffre un peu trop de consensus mous et d'expertises routinières qui, hélas, ne font plus débat... Alors merci infiniment, Monsieur Allen Toussaint, de mettre la "jazzerie" hexagonale à feu et à sang... Merci de mettre surtout en difficulté ceux qui n'aimeraient juger une oeuvre qu' en dehors de son contexte, en dehors de la production discographique d'une saison dans laquelle elle s'insère, en dehors de "l'émotionnel" bien sûr (qu'il ne faut pas négliger, reconnait-on par ailleurs)...
Après, si j'ai bien compris, on reproche à la fois à Allen Toussaint de ne pas vraiment innover et de ne pas respecter la grammaire du jazz... Sur le 2ème point, ne faisait-on pas le même reproche aux beboppers ? N'a t-on pas aussi reproché à la Nouvelle Vague d'insulter la grammaire cinématographique et la science des raccords ? Ne reprochait-on pas aux acteurs de Rohmer de jouer faux ? A la "rigueur rythmique" dont se prévaut Philippe Baudoin, avec toute l'estime et le respect qu'on doit continuer à lui devoir, il faut opposer le fleuve en crue, l'écume du Mississippi, le clavier non tempéré d'Allen Toussaint, l'âme d'un disque plus encore que le corps d'un disque... Et il ne s'agit pas là d'une "arrogante incantation" mais bien de cette "fière humilité" dont effectivement notre époque a plus que jamais besoin...