Pierre Vidal-Naquet, une vie
L'universel était dans ses gènes. Du combat contre la guerre d'Algérie au plaidoyer pour un rapprochement israélo-arabe en passant par un démontage homérique -pour un helléniste, cela va de soi- des thèses négationnistes, Pierre Vidal-Naquet (1930-2006) a incarné l'intellectuel engagé au plus beau sens du terme. La biographie que lui consacre l'historien des idées François Dosse le situe d'emblée dans la continuité du modèle dreyfusard transmis par son père juif mort en déportation. À l'un comme à l'autre, les mots de Chateaubriand servaient de devise: "Lorsque, dans le silence de l'abjection, l'on n'entend plus retentir que la chaîne de l'esclave et la voix du délateur, l'historien paraît, chargé de la vengeance des peuples".
Cette quête éthique passe d'abord chez Pierre Vidal-Naquet par une allergie à toute chapelle. Explorant la Grèce ancienne, il la prend comme un "fait social total", s'intéressant aussi bien à l'économie qu'aux représentations -les "variations imaginatives", comme le formule l'auteur. En cela, il s'éloigne des ornières marxistes tout comme il restera imperméable aux sirènes staliniennes, ne serait-ce que par une proximité originelle avec la revue Esprit. Ce qui frappe le plus dans ce parcours, c'est l'aller-retour permanent entre passé et présent. Platon et Jaurès, l'humus athénien et l'instant Maurice Audin, le retour à Flavius Josèphe et la démystification des "nouveaux philosophes" emmenés par BHL.
On peut donc être à la fois "antique et authentique ", comme l'écrivait dans sa nécrologie le journaliste de Télérama Pierre Lepape. On peut aussi se tromper, rester aveugle aux enjeux pétroliers lors de la première Guerre du Golfe ou alors se commettre dans cette malheureuse affaire Tangorre, du nom d'un violeur en série pas franchement synonyme d'erreur judiciaire... Ne pas faire l'impasse sur ces bémols est tout à l'honneur de François Dosse.
On sera plus circonspect sur son inventaire des multiples querelles de préséance universitaire façon mandarins flingueurs auxquelles Pierre Vidal-Naquet fut mêlé, témoignant d'une raideur qui déconcerte... Raideur qu'on retrouve parfois dans cette biographie lorsque, dans sa construction, elle privilégie un chapitrage par thèmes au détriment de la chronologie d'une vie. De quoi mettre à mal la clarté d'un parcours, surtout lors de cette fastidieuse recension des disciples de l'helléniste. Quelques bévues non relues (Georges Marchais secrétaire général du PCF en 1966 ? Jacques Chirac Premier ministre en 1992 ??) nous font également tiquer.
D'autres chapitres emportent d'avantage l'adhésion. Cette fameuse "judéité diasporique", par exemple, se choisissant d'autres repères qu'Israël. Sous quelles fourches caudines passerait-elle aujourd'hui à l'heure où certains assimilent antisionisme (souvent lui-même dévoyé...) et antisémitisme ? Ce côté professeur Nimbus également, rétif aux tâches matérielles, danger public au volant, traversant la route collé à la dernière édition du Monde sans faire attention à la circulation... À ce point lunaire et non plus lunatique, Pierre Vidal-Naquet se révèle définitivement touchant.
Pierre Vidal-Naquet, une vie. François Dosse (Editions La Découverte)