Pieces of a Woman
Un cœur qui bat dans le casque, et puis qui ralentit. La sage-femme de remplacement est la première à comprendre. Malgré Sean, le mari modèle et attentionné, Martha donne naissance à un bébé mort-né. La séquence a duré presque 25 minutes. On a eu nos contractions, nous aussi. Tout cela pour un film-dossier sur les horreurs de l'accouchement à domicile, avec pour nous déprimer davantage une esthétique cinéma d'Europe de l'Est vu que c'est un Hongrois qui est derrière la caméra ?
Pieces of a Woman, heureusement, ne se résume pas à ce terrifiant plan-séquence. Le sujet même du film, c'est ce qui suit, ce qui se diffracte lentement avec en permanence le souvenir de ce bloc compact, de ce climax survenant pour une fois non pas vers la fin mais dès le début du récit. Le cœur même de Pieces of a Woman, c'est une femme en morceaux. Elle va les recoller en se dispersant, arpentant les rues et les ponts de Boston dans un manteau rouge, scrutant des graines de pommes, évidant la trame narrative de toutes ses tentations de thriller judiciaire... Elle s'en fiche bien, Martha, d'une éventuelle vengeance au pénal. Elle n'est même pas certaine que la sage-femme remplaçante a commis une erreur professionnelle.
Un summum de finesse et de sensibilité imprègne la mise en scène de Kornél Mundruczo. Cela ne va pas sans brutalité. La manière, par exemple, avec laquelle Sean est "jeté" du film après s'être enfoncé dans le désarroi. C'est Shia LeBeouf qui campe avec une rage de plus en plus dévitalisée cet ingénieur des chantiers méprisé par la famille de sa compagne. Quel plouc avec son bonnet de prolo et ses rêveries de road-movie à Seattle ! La mère de Martha, en revanche, il est plus difficile de s'en débarrasser. Ellen Burstyn lui donne la dureté racée et entreprenante d'une survivante de la Shoah qui a appris dès les premières heures de sa vie à lever la tête, littéralement parlant.
Martha aussi va apprendre la survie, mais sans entrer dans le moule oppressant de sa mère qui pense qu'un procès suffit à réparer les vivants. Martha se répare autrement dans une errance qui n'appartient qu'à elle et avec en tête ses propres airs de musique: In a Sentimental Mood, par exemple, ou encore le Gary's Theme de Bill Evans. Sa fragilité, sa férocité apparente, cette hébétude flottante qui ne laisse passer aucun haussement de sourcil, cette blondeur virile et organique instinctivement employée comme paravent, c'est une jeune et prometteuse actrice britannique qui en déploie tous les versants. Gena Rowlands a 32 ans. Elle s'appelle Vanessa Kirby.
Pieces of a Woman, de Kornél Mundruczo. À voir actuellement sur Netflix.