Lundi 2 mars 2020 par Ralph Gambihler

Paul Robeson, artiste et révolutionnaire

Grâce à des musiciens comme Raphaël Imbert et Eric Bibb (dont il était le parrain..), le nom de Paul Robeson sort peu à peu de l'oubli où il était injustement tombé alors que des années 30 aux années 70, ce chanteur, acteur et militant avait un statut d'icône internationale. Une chouette exposition au musée parisien du Quai Branly, en 2018, avait également donné à voir tous les rêves, tous les combats d'émancipation de ce "grand Noir à la voix de basse profonde", comme l'écrivait James Ellroy, jusqu'à les relier, dans le titre-même de l'exposition (Paul Robeson, un homme du Tout-monde...), à d'autres thématiques moins anciennes.

Rien d'anodin, du même coup, lorsque TSFJAZZ a fait se rencontrer en janvier dernier, dans Caviar pour tous, Champagne pour les autres, Patrick Chamoiseau et Gerald Horne, un historien afro-américain aussi engagé que Robeson jusqu'à lui consacrer une passionnante biographie présentée au festival Sons d'Hiver et qui paraît ces jours-ci aux éditions Otium. En dix chapitres, l'essentiel est là: le combat contre les lois Jim Crow imposant la Ségrégation au Etats-Unis, l'engagement marxiste forgé dans le vivier britannique (L'Angleterre, sa seconde patrie...), le soutien à tous les mouvements de libération face à la nuit coloniale, l'internationalisme ouvrier et... l'engagement aux côtés de l'Union soviétique.

Sur ce dernier point, on aurait souhaité l'auteur moins pudique au regard de certains aveuglements alors que Paul Robeson a glorifié Staline avant de qualifier la révolte hongroise de 1956 de "fasciste". Autre bémol, le peu d'informations sur la genèse américaine de sa formation politique, comme si tout avait débuté avec le voyage à Londres. Pour le reste, l'ouvrage a surtout le mérite de mettre en lumière le traitement infamant dont fut victime Robeson sous le Maccarthysme. Gerald Horne en éclaire tous les enjeux, de la privation de passeport à l'asphyxie financière, en passant par une créativité amputée sur plus d'une dizaine d'années.

Plus éclatante encore, la démonstration que ce n'est pas tant (ou en tout cas, pas seulement...) le Robeson communisant qui a filé des ulcères au FBI, mais d'abord le Robeson anti-ségrégationniste. Dès qu'il affronte Truman dans son bureau de la Maison-Blanche après avoir manifesté à Washington contre une vague de lynchages et de mutilations contre des Noirs portant l'uniforme, son sort est réglé. Tout aussi saisissant, l'épisode Peekskill, cette ville au nord du Manhattan où, en 1949, des émeutiers scandant "Que Dieu bénisse Hitler" et soutenus par les policiers locaux s'en prennent à Robeson lors d'un concert pro-droits civiques...

Il a résisté, comme il a pu, chevillé à ses marottes et autres jardins secrets: son petit verre de champagne, par exemple, entre deux actes d'Othello, sa pièce-fétiche, ou encore sa passion des langues, du chinois à l'hébreu. "Il se mettait à étudier le norvégien à 8h du matin, d'après un journaliste cité par l'auteur, et il l'écrivait à 18h le soir-même"... Paul Robeson a aussi été aux premières loges lors de l'éclosion du be-bop et d'après lui, Duke Ellington avait "rattrapé Shakespeare". Tout se tient, décidément, chez cette fierté noire et cette voix qui porte toujours, 34 ans après sa disparition.

Paul Robeson, artiste et révolutionnaire, Gerald Horne (Éditions Otium)