Jeudi 16 juin 2011 par Ralph Gambihler

Pater

Voici un film jeune et libre réalisé par un monsieur qui va sur ses quatre fois vingt ans. Avec "Pater", Alain Cavalier, le réalisateur de "Thérèse", embarque le comédien Vincent Lindon dans un jeu de rôles tout en enrobés mais aussi en dérobés. Il s'agit, pour ces deux là, de rendre compte avec beaucoup de chaleur et pas mal de malice du lien tour à tour filial et fraternel qui les unit, mais en le prolongeant dans une sorte de joute qui verrait Alain Cavalier incarner un président de la République tandis que Vincent Lindon camperait son Premier ministre.

Ainsi donc, il y a le film et le projet du film. Chacun d'ailleurs s'appelle par son nom. Vincent Lindon joue à la fois son propre rôle et celui de ce politicien à la fois roué et sincère qui veut aller beaucoup plus loin que son mentor de président dans la lutte contre les inégalités de salaires, quitte à le renverser de son piédestal... De la même manière, lorsque Alain Cavalier dit de son partenaire qu'il est "chaleureux, un peu impulsif, robuste et terriblement sympathique", on peut autant y percevoir le Président qui évalue son Premier ministre que le réalisateur qui apprécie le comédien. Cette grâce de funambule entre fiction et documentaire, la saveur des dialogues ainsi que l'intelligence de ce qui est donné à entendre sur un strict plan politique suffisent déjà à notre bonheur, ne serait-ce qu'en comparaison avec le "spectacle" offert par ceux dont la politique est le vrai métier.

Mais "Pater" n'est pas que ça. Il faut voir le visage de Vincent Lindon lorsque son interlocuteur lui balance "Comme tout le monde, vous avez une femme et vous en avez une autre"... Quelque chose, dans cette courte séquence, paraît "volé" à l'intimité du comédien, ce qui rend d'ailleurs encore plus poignant le plan qui suit, celui d'une femme nue dévoilée de dos... De manière générale, les cadrages d'Alain Cavalier (et aussi ceux de Vincent Lindon, puisque la mise en scène, ici, ne fonctionne que sur le mode de l'échange et que les deux protagonistes sont les "colocataires de chaque plan", comme le note avec beaucoup de justesse Serge Toubiana), sont comme des battements de coeur amplifiés par le recours à la caméra numérique. Des visages s'échappent d'un plan, y reviennent, et les sorties de champ semblent aussi félines et chatoyantes que le doux matou que l'on voit tout au long du film...

On l'aura compris: tout ce qui nous passionne au cinéma est réuni dans "Pater":  vie privée et chose publique, plaisirs du jeu et vibrations du coeur, vertige d'une mise en scène et volonté obstinée d'une caméra à rester à hauteur d'homme... Il faut évidemment toute l'élégance, l'audace et l'humilité d'un cinéaste comme Alain Cavalier pour réunir ces éléments souvent contradictoires dans ce qui pourrait bien être le plus beau film français de l'année 2011.

"Pater", d'Alain Cavalier (Sortie en salles le 22 juin). Coup de projecteur, la veille, sur TsfJazz (8h30, 11h30, 16h30), avec Vincent Lindon