Nymphomaniac 1
Il y aurait tant à dire sur les nymphos. En quoi notre imaginaire judéo-chrétien les transforme en déviantes sociales quand leurs équivalents masculins nourrissent généralement plus d'indulgence. Ou encore dans quelle mesure la nymphomanie manifeste, paradoxalement, une forme supérieure du goût de l'autre dans l'attachement ponctuel, persistant et dispersé à certains de ses traits et non pas, comme l'écrivait si joliment Adorno, à "l'idole" d'une personnalité qui n'est que le reflet de la propriété qu'on possède.
Autant de questions que la 2e partie de Nymphomaniac prolongera peut-être brillamment. Pour l'heure, on est bien en peine d'apprécier la dissertation de Lars Von Trier. Faiblesses, redites, platitudes ("L'amour n'est que désir, la jalousie en plus", entend-on à un moment...), mais aussi fulgurances. Notamment lorsque nymphomanie se met à rimer avec polyphonie au cours d'une prodigieuse séquence en split-screen où la vision d'un léopard voisine avec les orgues de Jean-Sébastien Bach.
Quoiqu'il en soit, mise en scène d'enfer, à l'instar de la musique de Rammstein en ouverture. Tout en sang sur un sol mouillé après avoir été rouée de coups, Charlotte Gainsbourg est recueillie par un vieux sage à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession. C'est pourtant tout naturellement qu'elle se met à lui raconter sa destinée de prédatrice sexuelle, laquelle est restituée en plusieurs chapitres. Le ton surprend. Même si quelques séquences relèvent d'un porno-soft intermittent (les images les plus crues apparaissent comme des éclairs ou des flashs...), Nymphomaniac expose ses charmes dans une indolence raffinée et pince-sans-rire façon Peter Greenaway.
Un dépucelage supposé brutal donne même lieu à une étrange séquence de numérotation. Oublié, le climat oppressant de Antichrist et Melancholia. Au programme, luxure, humour et volupté avec, en bonus, une irrésistible Uma Thurman en femme trompée qui montre à ses enfants le "lieu du crime" où son mari a commis l'irréparable adultère. A contrario, l'agonie d'un père donne lieu à une séquence à la Bergman dans laquelle Lars Von Trier fait preuve d'une grâce ténébreuse dont il nous avait quelque peu déshabitués. Amputé de sa 2e partie, ce premier volet se déploie ainsi tout en pointillés : maîtrise formelle déjà accomplie, propos à la recherche d'une vraie densité... Glissements progressifs vers un très grand film ?
Nymphomaniac, Vol.1 (Sortie en salles ce 1er janvier)