Notre guerre civile
Les cotes se succèdent: BA1183, BA1184... Fiches de police, documents procéduraux, minutes de jugements, articles de presse... Tout un idéal confiné dans des boîtes froides tendues au guichet, tout un parcours résumé en archives "répressives, mais bavardes ". C'est Judith Perrignon qui retrace ainsi le parcours de Louise Michel à travers le langage de ceux qui l'ont pourchassée. Le comble, c'est que cette grande figure de la Commune de Paris en 1871 nous apparaît ainsi bien plus vivante que dans une biographie classique et surplombante.
Il faut pour cela métamorphoser la paperasse en vibration. Judith Perrignon n'a plus rien à prouver en la matière, elle qui autrefois transformait déjà un enterrement en épopée (Victor Hugo vient de mourir) et une ville qui sombre en ville qui danse (Là où nous dansions). Dans le prolongement d'une série radiophonique et avec le renfort d'historiens et de féministes (voire les deux à fois, comme Michelle Perrot), elle nous offre encore à "entendre", d'une certaine manière, la voix d'une femme dont l'aura revendicative ne parle pas seulement au siècle qui était le sien. C'est d'ailleurs l'autre avantage des archives quand on sait à quel point Louise Michel a été embaumée post-mortem par cette république qui l'avait pourtant embastillée -on lui a même donné le nom d'une station de métro. "Retourner aux archives, nous dit Judith Perrignon, c'est s'éloigner de cette récupération et retourner à la radicalité de Louise Michel."
Au fil des pages, on croise Hugo, et pas seulement à son enterrement. Louise Michel a 18 ans lorsqu'elle lui écrit sa première lettre. Il lui répond. La correspondance se poursuit par-delà les secousses de l'Histoire: lui, le proscrit, l'exilé; elle, l'anarchiste bientôt déportée en Nouvelle-Calédonie. C'est plus loin que Guernesey, mais le lien ne sera jamais défait entre celle qui ne jure que par la révolution et celui qui en a peur tout en lui offrant son souffle et ses mots. On note aussi que lorsqu'elle écrit au poète, Louise Michel emprunte un pseudonyme masculin, celui d'Enjolras, le révolutionnaire des Misérables. Chaste figure, certes, mais ce changement de genre laisse aussi songeur que le surnom de Vierge Rouge accolé à celle qui ne l'était peut-être pas tant que ça au regard de tous ses compagnonnages au féminin pluriel...
Son insatiabilité politique marque également. Bien après la Commune et bien après son retour de Nouméa, Louise Michel continue d'enchaîner les meetings à Paris, dans le sud, à Alger, ou encore au Havre où elle se prend une balle qui restera fixée dans son crâne. Elle ne renonce pas à la Révolution malgré les indics qui continuent à archiver son agenda en le recouvrant de sexisme, ou encore malgré les anciens compagnons de route qui au moment de l'affaire Dreyfus versent dans l'antisémitisme sous couvert d'anticapitalisme.
Parmi eux, le journaliste Henri Rochefort qui continue en même temps de l'aider financièrement. "Le capital est une religion à laquelle appartiennent tous les vautours de la terre: qu'ils soient hébreux, musulmans ou chrétiens ", lui répond Louise Michel avant de rappeler que c'est parce qu'ils ont été autrefois détroussés et rançonnés que les juifs ont développé selon elle un "sens de l'acquisivité ". Au-delà de ce discours qui peut apparaître aujourd'hui ambigu, Louise Michel n'avait que faire de la révision du procès Dreyfus. Justice bourgeoise, disait-elle, préconisant plutôt l'envoi d'un commando sur l'île du Diable pour faire évader le capitaine. Cette révolutionnaire était aussi une aventurière.
Notre guerre civile, Judith Perrignon (Grasset). Coup de projecteur avec l'autrice, ce jeudi 29 juin, sur TSFJAZZ, à 13h30.
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