Napoléon-Metternich: le commencement de la fin
Quel face-à-face ! Dans la mélasse napoléonienne de la semaine, entre gloriole nationale et kärcherisation du trépassé de Sainte-Hélène jusqu'à gommer toutes les complexités de celui que Victor Hugo qualifiait dans Les Misérables de "Robespierre à cheval " (sachant que dans l'expression "Robespierre à cheval ", il y a le mot "Robespierre "...), le docu-fiction d'Arte sur une rencontre méconnue a certainement constitué l'un des programmes les plus stimulants autour du bicentenaire de la mort de l'empereur.
Dresde, juin 1813. Déstabilisé par "cette fâcheuse campagne de Russie " mais toujours redoutable à l'instar de ses deux victoires sur les Prussiens à Lützen et sur les Russes à Bautzen, Napoléon reçoit Metternich, le Talleyrand autrichien. Rencontre-marathon. Huit heures de manœuvres oratoires et dilatoires, d'invectives, de menaces plus ou moins sourdes... Le ministre autrichien des Affaires étrangères est venu proposer un deal. Ou bien l'empereur accepte un traité de paix sur le continent préservant sa stature européenne mais replaçant la France dans ses "limites naturelles ", ou alors Vienne, qui est théoriquement son allié, rejoindra ses ennemis. Napoléon rue évidemment dans les brancards, il ne sait faire que ça. L'autre encaisse, aussi retors qu'obséquieux tout en tissant sa toile, comme si les dés étaient déjà pipés.
L'ombre de Marie-Louise traverse les échanges. Napoléon l'a tant aimée, sa deuxième impératrice, même si c'était un mariage arrangé. Vu de Vienne et après l'humiliation de Wagram, il fallait absolument qu'une Autrichienne succède à Joséphine sous peine de voir l'ogre d'Ajaccio convoler avec une princesse russe avant de terrasser définitivement les Habsbourg. "Vous vouliez me lier les mains, Metternich ! ", s'exclame Napoléon. Il l'a pourtant accepté, ce mariage: "Je voulais mêler l'ancien et le nouveau, vos préjugés gothiques avec les institutions de mon siècle... Je me suis trompé ". Et il ajoute: "C'était une erreur bien douce, en vérité "...
Impulsif, mais lucide, ce Napoléon si humainement campé par David Sighicelli (Pierre Kiwitt, lui, paraît un peu trop fielleux par rapport à l'envergure carnivore du vrai Metternich...) synthétise tous les travers du monarque. Après 1802 et le rétablissement de l'esclavage dans les Antilles, 1813 est son pire moment. Goya s'apprête à immortaliser sur la toile les fusillés d'Espagne. Le sang de jeunes Français coule de bataille en bataille, leur chef n'en a cure. "Si je recule un pion, la partie est jouée ", concède-t-il à son interlocuteur, avouant ainsi qu'il ne règne que par la force
Et puis il y a ce qui ne s'appelle pas encore l'Allemagne, ces territoires pillés, colonisés, ruinés sous les effets du blocus continental imposé contre les Anglais qui prive certaines régions germaniques de denrées comme le café et le sucre. "Qui a supprimé le servage, sinon moi ? J'ai apporté à l'Allemagne la liberté et les bienfaits de la modernité ", se targue l'empereur. "Vos exigences n'ont pas toujours été comprises, Sire" , lui rétorque Metternich.
Tout est dit, déjà, des prémisses de la nation allemande, pour le meilleur et surtout pour le pire. Tout est surtout rendu avec force et intensité par Mathieu Schwartz, l'initiateur de ce docu-fiction, avec le concours d'historiens français et allemands aux interventions toujours pertinentes sans avoir besoin d'en rajouter. Car entre roman et contre-roman national autour de Napoléon, il y a bien ce matériau si sensible, si fragile et si infiniment respectable qui s'appelle l'Histoire, avec une majuscule.
Napoléon-Metternich: le commencement de la fin, Mathieu Schwartz. En replay sur Arte
Schwartz