Mona Chollet, des sorcières aux amandiers...
Sur le soupçon de viol, l'omerta pendant le tournage et la réaction édifiante de Valeria Bruni-Tedeschi au regard des agissements présumés de Sofiane Bennacer, le jeune acteur-vedette de son nouveau film, Les Amandiers, tout a été parfaitement résumé par Marine Turchi dans Médiapart: non, la présomption d'innocence n'est pas une assignation au silence. Elle ne doit faire barrage ni à la connaissance des faits dénoncés, ni à l'examen de ce qu'ont été les comportements de la réalisatrice, des producteurs et du milieu du théâtre face aux accusations et alertes. À la justice, ensuite, de trancher.
Mona Chollet, elle, a déjà tranché. Pour la journaliste et essayiste féministe, Valeria Bruni-Tedeschi est coupable de ne pas avoir analysé les rapports de pouvoir qui se jouaient dans l'école du théâtre des Amandiers dont elle retrace l'épopée eighties lorsque Patrice Chéreau en était la figure fondatrice. Relayée sur les réseaux sociaux avant d'avoir les honneurs d'un journal comme Le Monde, sa prose baigne hélas dans la sur-interprétation, les raccourcis, la confusion et les procès d'intention. Les franges les plus populistes de #Metoo jubilent, surtout quand Chollet rappelle que la réalisatrice des Amandiers est "une femme immensément riche et la belle-sœur d'un ancien président de la République". Cela n'autorise pas à raconter n'importe quoi.
Usant de l'étrange procédé qui consiste à décrypter le réel au travers d'une fiction, l'essayiste a surtout le don -non moins étrange- de faire dire à certaines scènes du film le contraire de ce qu'elles montrent. Chéreau forçant un élève à l'embrasser, par exemple. Telle qu'elle la filme, et c'est bien là l'essentiel lorsqu'on écrit sur le cinéma, Bruni-Tedeschi ne cache rien de la violence de cette scène et de ce qu'elle a aujourd'hui d'insupportable à nos yeux, mais Mona Chollet préfère rattraper au vol des propos de promo de la réalisatrice pour l'accuser de complaisance. De la même manière, elle accuse Valeria Bruni-Tedeschi de filmer Sofiane Bennacer comme un jeune romantique torturé alors que la mise en scène met tout aussi en avant, sinon davantage, la toxicité de son personnage.
S'emmêlant les pinceaux entre fiction et réel, Mona Chollet mélange aussi passé et présent jusqu'à évoquer doctement les "travers de la formation " de Bruni-Tedeschi quand elle était, avec d'autres, l'élève de Patrice Chéreau. "Je veux qu'un metteur en scène me casse ", lançait alors la jeune Valeria dans une vidéo exhumée par le making of du film diffusé sur Arte. Scandale ! Intériorisation des "lieux communs masochistes " justifiant toutes sortes de maltraitance, s'indigne l'essayiste qui voit des Maria Schneider partout...
C'est pourtant, comme le rappelle un très bel essai paru récemment, le même genre de propos que tenait Nathalie Baye dans la décennie précédente. Elle n'en pouvait plus des rôles de jeune femme sage auxquels elle semblait condamnée. Elle trouvait cela méprisant et blessant, surtout d'un point de vue féministe, et elle rêvait, effectivement, d'être "cassée " par un Godard ou par un Pialat. L'a-t-elle regretté par la suite ? Cette mise à nu à laquelle aspire tout apprenti-comédien, cette vocation à se laisser transpercer par l'imprévu pour se donner une nouvelle colonne vertébrale à travers le personnage qu'on interprète, Chollet n'en a cure. Emportée dans le cousu de fil noir qui lui tient lieu de pensée, Valéria la "cassée " devient sous sa plume Bruni-Tedeschi la "casseuse ", torturant elle aussi ses comédiens dans Les Amandiers pendant le tournage.
Là encore, l'essayiste se réfère au making of du film et aux propos de l'un de ses jeunes interprètes, Vassili Schneider, lorsque ce dernier évoque le fait de "creuser les choses qui nous détruisent le plus ". Sur Instagram, l'acteur a magistralement répondu à Mona Chollet, la priant de ne pas l'instrumentaliser. Pan sur le bec de celle qui décrète que Bruni-Tedeschi a en face d'elle une "génération à laquelle elle prétendait faire la leçon et qui lui tient tête ". Ce qui en revanche doit tenir tête à Mona Chollet relève d'une autre urgence, celle de combattre partout où c'est possible la pensée chewing gum qui colle à la doxa ambiante. La penseuse -et non la sermonneuse- qui disserta autrefois si brillamment sur "la puissance invaincue" des sorcières, rebelles obstinées et insaisissables, devrait en être la première convaincue: on n'aide pas à la réflexion lorsqu'on s'empresse d'abord de dresser des bûchers.
Tribune de Mona Chollet sur l'affaire Sofiane Bennacer, Le Monde, 3 décembre 2022