Mon petit renne
Malgré son titre, Mon petit renne n'a rien d'un conte de Noël. Cauchemar gaélique conviendrait mieux à ce que l'auteur-interprète de la série, l'Ecossais Richard Gadd, a subi il y a plus de dix ans et qu'il a d'abord tenté de conjurer en mode one-man-show, puis ici dans le registre de la fiction. Barman le jour, apprenti-humoriste la nuit, Donny voit un jour débarquer Martha dans le pub londonien où il bosse. Un gentil geste de sa part (il lui offre un verre...) face à l'allure un peu désemparée de la cliente plus âgée que lui, et c'est le début d'un cycle infernal ponctué par des e-mails et autres SMS du plus mauvais goût envoyés par la harceleuse.
Dotée d'un rire assez particulier, celle-ci oscille en permanence entre tendresse et pétage de plomb, donnant à sa victime le surnom d'une peluche qu'elle possédait dans son enfance. Le "renne" en question tente pourtant de se rebiffer jusqu'à se rabibocher avec son ex-petite amie métisse avant de retomber chaque fois en enfer, jusqu'à donner l'impression d'un vague rapport sado-maso avec l'envahissante "stalkeuse". Ce n'est d'ailleurs pas le seul moment où son comportement perturbe notre attention. D'où lui vient, par exemple, l'attirance qu'il éprouve par ailleurs pour une femme transgenre prénommée Teri ? Simple magie d'une rencontre, ou alors douteux segment essentialiste?
De fait, le 4e épisode de la série a beau éclairer d'une lumière crue le trauma fondateur d'une masculinité en pointillés, on n'en est pas moins dubitatif sur la barque extrêmement chargée d'un scénario en or pour certaines plateformes: "Netflix quand on leur a expliqué que 'Mon petit renne', c'est un Ecossais en couple avec une renoi qui se fait droguer et violer par un homme de 50 ans, et qui du coup devient bisexuel et tombe amoureux d'une transsexuelle, mais qui ressent aussi de l'attirance pour une folle en surpoids ", pouvait-on lire récemment sur X, anciennement Twitter, avec en illustration un jeune producteur affublé de lunettes noires apparemment aux anges. Autre source de malaise: pourquoi est-on allé imaginer du côté du Misery de Stephen King (ou du moins sa traduction à l'écran...) le profil physique de la harceleuse ? Vous avez dit grossophobie ?
Les réalisatrices Josephine Bornebusch et Weronika Tofilska prolongent heureusement ce contenu troublant par une mise en scène de haute tenue. Avec ses plans extrêmement serrés, son ambiance tour à tour poisseuse et toxique, ainsi que ses différents niveaux de lecture habilement enchevêtrés, Mon petit renne sort indiscutablement du lot des thrillers convenus. Les mésaventures de cet humoriste qui ne fait jamais rire n'en laissent pas moins une certaine impression de too much à peine compensée par deux ou trois sourires, sans oublier quelques moments authentiquement émouvants.
Mon petit renne, Richard Gadd (actuellement sur Netflix)