Mon bel âge
Sa bio ne tient qu'en trois lignes sur Wikipédia qui mentionne notamment sa participation aux Jeux de 20 heures et à L'Académie des neuf. Difficile d'être plus ingrat avec Alexandra Stewart alors même que son livre de souvenirs met en avant une intelligence du coeur qui l'a amenée à côtoyer Boris Vian, Orson Welles, Chris Marker ou encore Picasso et Hemingway. Du très grand art, cette échelle de fréquentations.
On devine en même temps ce qui les a séduits, ces grands esprits. Sexy et retenue, espiègle et élégante, Québécoise et British, Alexandra Stewart est l'alchimie incarnée. Sauf que pour devenir une égérie, faut pas la jouer alchimie. Pour atteindre le statut d'une Bardot façonnée par Vadim ou d'une Anna Karina chez Godard, il faut être d'un seul bloc, s'offrir à l'état brut pour se laisser ensuite modeler par un mentor.
Alexandra Stewart s'est modelée elle-même. strong>Hitchcock aurait pu craquer pour cette blonde glaciale avant de reculer face à une miss aussi chaleureuse. La voici, dés lors, enferrée dans les chemins de traverse de la Nouvelle Vague (Pierre Kast, Jacques Doniol-Valcroze...), filant soudainement en Afrique pour jouer dans un Tarzan parce qu'elle raffole des animaux sauvages, refusant un rôle de James Bond Girl qui échoit à une certaine Ursula Andress.
Le comble, c'est Cul de Sac, où elle est censée décrocher le rôle principal. Jusqu'au moment où devant Polanski elle vante, bien à tord, les charmes de Françoise Dorléac. Le malin génie du cinéma polonais ne se le fait pas dire deux fois : il rompt le contrat d'Alexandra Stewart et engage à sa place la soeur de Catherine Deneuve. Il y eut Feu Follet, certes, et puis Justine, née de ses amours avec Louis Malle qui l'initie au jazz comme Boris Vian avait commencé à le faire. Il y eut aussi Mickey One, film-culte, assurément, bien que son jeu ne soit pas vraiment mis en valeur.
Son grand rôle, en fait, c'est elle. La Dame du bois de Vincennes. Là-bas, au bout du chemin du Donjon, sa demeure recèle de photos et de lettres à la mémoire de ces célébrités disparues dont elle fut la confidente. Y allume-t-elle des cierges, la nuit, comme le Truffaut de La Chambre Verte qui, lui aussi, aimait tant fréquenter Alexandra la bien-aimée ?
Mon Bel Âge, Alexandra Stewart (Editions de l'Archipel). Coup de projecteur avec la comédienne, ce jeudi 12 juin, sur TSFJAZZ (12h30)