Jeudi 2 octobre 2014 par Ralph Gambihler

Mommy

Qu'importe le qu'en-dira-t-on, la rumeur de la norme, le grisé de l'époque. Doués des couleurs les plus vives, les personnages de Xavier Dolan regardent droit devant eux. De Laurence Anyways à Mommy, ils n'ont qu'une seule et sublime revendication : vivre libre, lumineusement libre, prêts à sortir du cadre.

Ou à l'élargir. C'est d'ailleurs ce que fait à un moment du film, et au sens littéral du terme, Steve (Antoine-Olivier Pilon, boule de feu devant la caméra...), cet ado montréalais maladivement incontrôlable qui fait subir un enfer à sa mère. Lors d'un bref moment de répit et dans un geste aussi soudain qu'enchanteur, le voilà qui empoigne les bords de l'écran, agrandissant comme par magie le format carré 1:1 auquel avait recours jusque là le jeune réalisateur québécois pour illustrer la prison dans laquelle se débattent ses personnages.

C'est que Mommy est d'abord un drame. Si on fait abstraction, un instant, de ses ouragans de sentiments, de ses éclats dorés et de son vernis pop (magnifié notamment par le Colorblind des County Crows...), le récit prend des accents bergmaniens pour se concentrer, à l'instar du grand maître suédois, sur deux visages au féminin pluriel traversés de désarroi mais aussi d'une part d'énigme. Le désarroi a les traits d'Anne Dorval, irrésistible et déchirante en maman faussement pétulante qui joue toujours la gagne avant de s'écrouler d'un bloc.

L'énigme, c'est l'introvertie et non moins poignante Suzanne Clément qui l'installe au coeur du récit avec cet étrange personnage de voisine venue cicatriser l'infernal tandem mère-fils de la maison d'à côté tout en essayant de cacher ses propres plaies... Au côté de ces deux désaxées, l'adolescent violent et bipolaire du film ferait presque figure de simple vecteur de foudre et de lumière. Il y a en même temps cette séquence prodigieuse au détour d'un karaoké, lorsque le gamin aux traits inhabituellement calmes reprend une chanson d'Andrea Bocelli (Toujours cette manière façon Dolan de sortir du cadre...) pour faire sa déclaration à sa mère. Dans le bar, les insultes homophobes pleuvent... Rare moment à la première personne du singulier. La tornade bergmanienne, bientôt, emportera tout sur son passage.

"Tornade bergmanienne" ? Pour que ces deux mots aillent exceptionnellement bien ensemble, il faut tout le culot, toute la maestria, tout l'écartèlement du champ des possibles dont est désormais capable Xavier Dolan. Toute une générosité, également... A condition de ne pas avoir peur de ses propres émotions, on succombera de toute évidence à ce cinéma de l'étreinte qui vous broie le coeur en l'enrobant de guirlandes.

Mommy, Xavier Dolan, prix du Jury au festival de Cannes (Sortie le 8 octobre). Coup de projecteur, le même jour (12h30) sur TsfJazz avec le réalisateur.