Samedi 14 avril 2018 par Ralph Gambihler

Milos Forman, la fougue et le spleen...

"Tu es comme une guitare mais dessinée par Picasso"... Dès Les Amours d'une blonde, au milieu des années 60, Milos Forman fait entendre une musique aux accents charnels et mélancoliques. Elle ne cessera d'irriguer son œuvre au travers de quelques joyaux incandescents illustrant à quel point on peut à la fois être calqué sur son époque tout en restant indémodable.

Il y a d'abord ce noir et blanc pré-Printemps de Prague, cette jeunesse qui trompe son ennui dans les bals et les amours sans issue, ces chants d'émancipation scandés contre le mauvais goût des vieux. À l'instar de La Plaisanterie de Milan Kundera, Les Amours d'une blonde exporte à jamais les bleus -et les rouges- à l'âme d'un peuple maudit par l'Histoire, jusqu'à rencontrer les chars d'un socialisme sans avenir.

Déjà ailleurs mais sans jamais renoncer à fêter les irréductibles, les intègres et les subversifs, Milos Forman signe avec Vol au-dessus d'un nid de coucou son Shock Corridor à lui sur fond de dégâts post-Vietnam et au firmament de l'âge d'or d'un certain cinéma américain des années 70 qui aura transformé une escouade de "losers" en chevaliers des temps modernes. Le trait est sardonique, mais sans jamais renoncer à la fêlure, cet interstice de liberté...

D'Est en Ouest, le regard ne perd rien de son acuité. Surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer l'éclosion du jazz et l'Amérique de la Ségrégation dans Ragtime, cette fresque mal-aimée qui reste pourtant un chef d'œuvre d'humanisme. Est-ce le passage trop brutal de la note bleue au classique ? Le plus grand succès de Milos Forman, Amadeus, aura été à nos yeux son seul revers... Trop agaçant, le rire de Tom Hulce en Mozart cabotin. Trop virtuose, cette mise en scène qui laisse inopinément au vestiaire émotion et humilité. Trop conquistador, le Milos de cette époque, Hollywood à ses pieds sans une seule larme, désormais, pour les rébellions tchèques et "seventies"...

Au travers d'une relecture des Liaisons Dangereuses bien plus fine et cruelle que l'avatar de Stephen Frears, Valmont nous aura rendu Milos Forman à nouveau fougueux. Car c'est bien ainsi, dans la fougue et le spleen, que nous l'avons tant aimé.

Milos Forman (18 février 1932-14 avril 2018)