Meva Festa
Aurait-il eu le confinement heureux ? Aux antipodes d'un autre pianiste, Brad Mehldau en l'occurrence, qui sublime désormais son art dans une ambiance "darkness" pouvant en dérouter certains (ce qui n'empêche pas Jacob's Ladder d'être à ce jour l'album le plus démentiel de l'année...), Laurent Coulondre est ressorti du Covid avec des envies de samba et de batucada. Les confettis pleuvent sur Meva Festa et son orchestration carnavalesque dans sa première partie avant de faire entendre, peu à peu, une autre sorte de vigueur faisant davantage jonction avec la vitalité pianistique de Michel on my Mind, le disque-hommage à Michel Petrucciani qui a propulsé Laurent Coulondre sur la route des festivals.
En tout état de cause, le compositeur de Brazilian Like n'aurait pas désavoué cette manière de se lover de soleil et de rythmes latins. Petrucciani avait lui aussi ses versants festifs, ses accélérations soudaines comme pour mieux conjurer l'horloge de la maladie, et cet élan vital du lutin que sa créativité transformait en géant. C'était également un gars du Midi, comme Coulondre le Nîmois dont les ascendances catalanes et une rencontre décisive avec le percussionniste brésilien Adriano Tenorio confortent la nouvelle boussole: direction plein Sud, entre explosion et démultiplication.
Car ils sont onze sur l'album parmi lesquels deux batteurs, André Ceccarelli et Martin Wangermée. Nicolas Folmer et Stéphane Guillaume font aussi partie du voyage. Mais le voyage vers où, exactement ? Le titre éponyme qui lance l'album sonne Brésil, indiscutablement, mais on y perçoit aussi des rythmes cubains, notamment quand les cuivres prennent la relève. Le groove adopte ensuite des atours hyper funky, voire vintage, le pianiste passe à l'orgue mais son clavier n'a pas toujours le premier rôle. Un trombone rugissant (Robinson Koury) lui vole parfois la vedette, ou alors c'est Lucas Saint Crick qui déchire tout à l'alto comme au baryton. Son solo sur Agua Bon, quel allant!
On savoure tout autant les profondeurs de champ que recèlent les morceaux suivants, de Piment doux à Gato Furioso avec ses accents flamenco, en passant par les vocalises de Bahia qui font intervenir Laura Dausse, l'âme sœur du pianiste à qui il dédie aussi l'avant-dernier morceau de l'album dont la richesse harmonique subjugue. C'est à elle qu'on doit par ailleurs le plus beau titre du disque, Memoria, avec sa ligne mélodique si émouvante quand Stéphane Guillaume l'habite à la flûte, son refrain alerte qui la ponctue à deux reprises et sa coda façon samba des rues avec les tambourins d'Adriano Tenorio. Également de la partie, Dédé Ceccarelli ne manquerait pour rien une telle fête.
Meva Festa, Laurent Coulondre (New World Production. Concert au New Morning ce 12 octobre, puis à Pleyel le 12 décembre lors de la soirée You & The Night & Music. À réécouter également le Deli Express du 3 octobre sur TSFJAZZ.