Merry-Go-Round
Comme un cratère dans son œuvre. Sorti en 1977, le fougueux et maladif Merry-Go-Round va laisser Jacques Rivette sur le carreau pendant quelques années avant qu'il ne se refasse une santé avec Le Pont du Nord, point d'appui d'une période plus sereine dans sa filmographie. Ici, on est encore dans l'expérimental. L'Amour Fou en a constitué une mise en bouche, mais Rivette n'en a pas terminé avec l'improvisation. Il fait penser à Coltrane expliquant à Frank Ténot que s'il a été sifflé par le public à l'Olympia en 1960, c'est parce qu'il n'a pas été assez loin.
Résultat: les 12h40 de Out 1: noli me tangere, cocktail sidérant de feuilleton populaire et d'œuvre-monde, puis trois récits encore plus underground, Duelle, Noroit et Merry-Go-Round. En référence à une célèbre somme balzacienne, le moins récupérable des cinéastes de la Nouvelle Vague a intitulé l'ensemble Scènes de la vie parallèle. Et de scènes parallèles, syncopes éparpillées et autres jeux de piste explosant au vol (avec au départ un mystérieux accident d'avion...), il n'en manque pas dans ce Merry-Go-Round sorti des limbes grâce à l'indispensable distributeur Carlotta Films.
Traduit en français, le film s'appellerait évidemment Tournez Manège tant il tourbillonne sans fin autour d'un mystérieux magot convoité par l'amant (Joe Dalessandro) et la frangine (Maria Schneider) d'une héritière qui se retrouve elle-même kidnappée, quelque part en région parisienne. Le protégé d'Andy Warhol d'un côté, la malheureuse égérie du Dernier Tango à Paris de l'autre... Une nouvelle fois magnétisante de mal-être et de sex-appeal, Maria Schneider traverse le récit en funambule. Jusqu'à ce que le fil se casse et que la comédienne se barre en court de tournage, amenant Rivette à la remplacer par Hermine Karagheuz dans ces fameuses scènes en forêt ou dans un paysage de dunes au cours desquelles les deux protagonistes s'imaginent être le prédateur ou la proie de l'autre.
Des chiens, des boas ainsi qu'un mystérieux chevalier déréalisent alors encore d'avantage ce qui s'apparente à une sorte de Inland Empire en banlieue parisienne. Le plus surprenant, c'est cette charpente clarinette-contrebasse (John Surman et Barre Phillips) qui structure et aère le film tout en renforçant son caractère envoûtant. Godard reprendra le même procédé dans Prénom Carmen avec les quatre musiciens répétant les Quatuors de Beethoven. La version jazz est beaucoup plus stimulante.
Merry-Go-Round, de Jacques Rivette. Reprise en salles, le 14 mars, avec Duelle et Noroit (Carlotta Films). Coup de projecteur avec le producteur du film, Stéphane Tchalgadjieff, sur TSFJAZZ; jeudi 15 mars, à 13h30.